La nuit était tombée, et quelques lueurs rouges traçaient l’horizon
J’étais assise face à la mer, engourdie
La ligne devint bleu foncé, presque violette
J’étais comme statue de sable

… c’est alors que je les vis sortir de derrière la dune. Formes mouvantes et sombres. Silencieuses. A la queue leu leu. J’ai longuement frotté mes yeux… Un petit garçon, puis deux, puis trois, puis quatre, puis… Chacun chevauchant un cheval en bois. Plus exactement un bâton qui creusait un sillon dans le sable. Ils s’arrêtèrent au bord, et la mer lécha pieds et pattes alignés derrière un tracé d’écume. Tous en position d’attente.
Je fixais la mer. Je retenais mon souffle. A quelques mètres du rivage, je vis une échelle fendre les vagues mourantes, s’élever au-dessus des ombres liquides, se dresser au plan des ondulations, et, décharnée tel un squelette, se découper noire sur le noir du ciel. Une longue, très longue échelle ; le cou ajouré d’un monstre marin… Quand elle fût complètement dressée, les jeunes cavaliers s’en approchèrent calmement. On eut dit un théâtre d’ombres, la découpe de marionnettes sur un jeu d’horizontales et de verticales. Les cavaliers attachèrent leurs montures au pied de l’échelle. A la force des bras, se hissèrent lestement jusqu’en haut. Le plus petit perché sur le barreau le plus élevé, les autres s’échelonnant sur les barreaux inférieurs, jambes pendantes, l’eau dégoulinant des corps. Visiblement cet exercice leur était facile et coutumier. Ils observaient mais ne se savaient pas observés. Je n’osai faire un geste, fascinée par la magie du moment, à l’affût du suivant… Une telle mise en scène ne peut pas durer, me dis-je. Une telle émotion, une telle beauté, doivent s’effacer.
L’échelle tenait droite malgré le poids des enfants-cavaliers. Un troublant jeu d’équilibre sur cet édifice précaire. Une immobilité dérangeante, en attente. Que regardaient-ils de là-haut ? Que préparaient-ils ? D’ordinaire les enfants ne restent pas tranquilles longtemps, ils bougent, ils bougent au point de faire basculer les échelles !…
Mais, qu’ont-ils vu soudain qui les firent se dresser sur leurs barreaux ? Ils étaient comme au garde à vous, attendant les ordres. J’ai entendu une sorte de sifflement, un oiseau de nuit peut-être… et d’un même mouvement je vis les corps plonger, s’enfoncer dans les ondulations des vagues, s’éloigner, puis disparaître. La nuit avait incorporé les figurines mouvantes.
Le temps s’étirait… Toujours attachés, leurs chevaux piaffaient d’impatience. Ils s’ébrouaient, s’énervaient, si bien qu’à force de tirer sur leurs licols et leurs longes, ils déstabilisèrent l’échelle qui chancela, s’inclina, et s’enfonça à son tour dans les flots bouillonnants.
J’ai vérifié, plutôt dix fois qu’une, que l’échelle avait sombré.
J’ai récupéré les bâtons des cavaliers dans les vagues.
J’ai mêlé leurs crinières à l’écume, et mes larmes au sel de la mer.

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