LUI- Tu en veux un autre, encore un autre, tu vas tomber, ça tangue, mais non tu repars, chancelante, tu t’agrippes, tu te diriges vers le tuner, tu augmentes le son, tu es au comble, non pas encore, le comble est à venir…

ELLE- j’en veux encore je ne suis pas rassasiée pas encore bientôt quand je serai comblée remplie défaite enfin défaite enfin comblée plus tard ça va venir je serai offerte tu pourras me prendre et me coucher je serai effondrée tu n’auras plus qu’à me traîner jusque dans ma chambre je serai légère et tu pourras écarter mes cuisses et me fourrer ton sexe que je ne sentirai même plus je suis au comble encore une fois mais sans toi toi tu ne peux que me baiser et j’aime non que tu me baises mais que tu me suives et que tu m’aimes lorsque je suis au comble j’aime que ton sexe grossisse et me mette j’aime que ça te fasse bander une femme au comble allez viens tu ne sais pas que tu es en train de prendre une femme qui n’en veut pas vraiment mais qui se sent encore femelle à l’idée qu’un homme puisse bander pour elle et je les vaux toutes les autres avec leurs minois et leurs petites grimaces de pacotille qui s’exaspèrent à tenir le mâle en haleine par des contorsions de leur bassin comme ça mine de rien sans avoir l’air d’y toucher je les vaux toutes ces femelles et je me montre à corps ouvert devant toi devant tous les autres je me montre au comble de ce qui jamais ne me comblera ne me remplira il y a une fuite ça n’est jamais rempli j’en veux encore et encore laisse-moi va-t’en si tu n’en peux plus mais laisse-moi il n’y a rien tu m’entends que ces mots que je déglutis que je dégueule devant toi tu ne peux rien ni toi ni les autres tu pensais pouvoir et je te laissais croire mais tu ne peux rien juste un dernier va le chercher je t’en supplie Ô mon amour

LUI- Tu dors maintenant tout est calme enfin. Ta bouche que j’aime, ta bouche charnue, généreuse, offerte et ton corps si menu, de petite fille. Intacte. Tes petits seins, tes petits bouts si fins qui pointent, qui m’invitent, non tu dors, je te laisse, tu es si belle quand tu dors, tu parais si calme, comblée enfin, remplie de toi-même mais tu ne le sais pas quand tu es réveillée, toi-même, tu ne le sais pas, c’est pour ça que tu bois. Je t’aime même si je sais que je vais partir car il faut que je parte, quelque chose me le dit et tu le sais aussi, tu le sais depuis le début que je vais partir, tu m’y invites depuis le début, et c’est pour ça que tu bois, pour que je parte, non ce n’est pas parce que je vais partir que tu bois mais bien le contraire, tu bois pour que je parte, ne me demande pas pourquoi, je le sais, c’est tout, et tu le sais, nous le savons sans nous l’être dit…

ELLE- je t’entends dans mon sommeil je t’entends tu veux partir mais je t’entends et tu ne le sais pas tu ne le sais pas que je t’entends tu vas partir encore quand je dors non non je ne ris pas je t’entends qui soupire tu m’aimes dans mon sommeil ça je le sais je te vois tu me regardes et tu es beau de m’aimer dans mon sommeil tu ne dis rien mais je t’entends dans tes silences je t’entends mon bel amour je t’aime de m’aimer comme ça et c’est pour ça que je bois pour que tu m’aimes si fort dans mon sommeil quand enfin je suis remplie de toi et de l’autre aussi que je vois sans que tu le saches

Un temps long

LUI – Viendra ? Viendra pas ? Ce n’est pas un problème qu’elle vienne ou pas. Ce n’est pas un problème, c’est ça qu’il faut que je me dise, ce n’est pas un problème qu’elle ne vienne pas, j’ai tant de choses à faire sans elle, ça fait des semaines que je dois ranger mon bureau, tous ces papiers qui s’amoncellent, je dois les ranger, les trier, en jeter, il faut toujours en jeter des papiers, il y en a trop, ils sont là sur un tas, on fait d’autres tas et d’autres encore, on verra, se dit-on, on verra plus tard, on ne décide pas l’heure, le jour, on dit plus tard. On en est sûr, plus tard on le fera.

Viendra pas, viendra plus maintenant, c’est trop tard, j’attends plus, tant pis, je vais m’en occuper de ces tas de papier, c’est le moment ou jamais puisqu’elle ne viendra pas, elle ne viendra plus. Si elle vient -mais elle ne viendra pas-, si elle vient -mais elle ne viendra pas-, je lui dirai pour les papiers, que j’ai attendu jusqu’au bout, jusqu’au presque bout, j’ai attendu qu’elle vienne, et quand j’ai estimé qu’elle ne viendrait plus -tout en me disant qu’elle viendrait peut-être, qu’elle avait eu un empêchement de dernière minute-, qu’elle ne viendrait plus donc, j’ai commencé à ranger les papiers, c’est ça que je lui dirai, si elle vient, mais elle ne viendra pas, elle ne viendra plus, c’est trop tard, elle ne peut plus venir puisqu’on est pratiquement au bout.

Pour les papiers, c’est vraiment l’occasion ou jamais de les ranger, de les trier, de les jeter, c’est l’occasion inespérée de s’en occuper des papiers quand on est presqu’au bout et qu’elle n’est toujours pas venue. Et si on attend encore un peu, on y sera vraiment au bout et on n’est pas sûr de pouvoir s’en occuper des papiers parce que quand on est au bout, on ne sait pas ce qu’on va faire, c’est imprévisible le bout, tout peut basculer, on peut les brûler les papiers car on s’en fout, de tout, alors les papiers, quelle affaire ! On ne va pas faire dans le détail, on les brûle voilà tout, les papiers…

ELLE- mais qu’ est-ce que tu racontes encore tu n’as pas fini tu crois que je ne t’entends pas mais je t’entends quand tu penses même si je ne suis pas là avec toi je t’entends dans tes silences tu as le front plissé et tu tournes et tu retournes dans ta tête des tas de pensées chiffonnées tu sasses et tu ressasses sans cesse tu crois toujours que je ne vais pas venir et que ça va finir parce que je ne vais pas venir je ne vais plus venir c’est ça que tu crois dans tes pensées

LUI- Tu aurais pu tout de même… Tu aurais pu me le dire que tu étais prise, au lieu de me laisser comme ça dans le noir de mes pensées chiffonner du papier…

ELLE- tu parles de prise alors que je suis éprise de toi qui ne vois de moi que mes absences lorsque le soir je bois et qu’enfin je m’endors près de toi tu es là je te sens et tu m’aimes dans mon silence tu m’aimes enfin quand je dors

LUI – Oui, je t’aime quand enfin tu dors dans ton silence. Je t’aime quand enfin tu as cessé de partir dans tes mots mouillés, ça tangue, je cherche l’horizon, la terre ferme, et toi tu bois encore et encore, tu tournes dans tes mots mouillés que je ne comprends pas, ce ne sont que des sons qui m’aspirent vers le fond.

Un temps

ELLE- vers le fond dis-tu vers le fond je t’entraîne c’est ça que tu dis dans tes pensées je le sais que tu crois que c’est vers le fond que je t’entraîne que je te traîne avant de m’endormir dans mes rêves où je te sens près de moi tu es en moi dans mon ventre tu bouges en moi dans le fond de mon ventre tu cherches et tu fouilles et tu t’agites comme c’est beau quand tu t’agites en moi et que je t’accompagne vers le fond

LUI- Y arriverai-je ou pas à toucher le fond ? Souvent, j’ai cru que je l’avais touché, je l’ai cru pendant quelques minutes, quelques secondes, peut-être, juste un moment très bref, un éclair. Je me suis dit ça y est, je le touche, il est là, je le sens à portée, il ne peut plus m’échapper et sitôt fait ce constat il avait disparu. Ne restait que cette impression, cette sensation de l’avoir touché, effleuré plutôt. Ne restait que l’empreinte de cet effleurement…

ELLE – comme tu es doux quand tu m’effleures je m’ouvre comme un bouquet dans tes pensées tu es là et tu touches le fond le tréfonds de la vie et ce balancement dans ma nuit me chavire je suis la vague qui s’enroule et qui coule à flots sur le rivage de tes rêves de tes pensées qui se défont viens Ô mon amour viens avec moi dans ma nuit il n’y a plus de frontière tout se fond dans le silence tout est bleu   enfin

Un temps long

LUI- Elle est partie encore, elle part toujours et chaque fois la nuit tombe. Elle dit pourtant qu’elle reviendra, lorsque je l’accompagne le soir, que je monte sa valise dans le train et que je redescends sur le quai. Elle paraît grande, très grande, elle me regarde fixement, intensément, la porte se referme, son visage contre le carreau s’évanouit lentement, ça y est, elle est partie cette fois encore, elle part toujours un peu avant la nuit…

ELLE – dans ce train qui s’en va je le vois qui s’approche de moi tendu vers le fond et l’autre m’appelle dans son sommeil là-bas dans la nuit bleue de l’oubli

LUI – Dans ce train qui t’emmène, j’entrevois ton visage collé au carreau de la vitre, puis ta silhouette s’évanouit lentement, lentement, tu t’en vas dans ce train et moi je reste sur le quai, je compte les semaines et je regarde la voie, les deux rails qui t’ont porté, mais tu es loin déjà. Peut-être es-tu arrivée dans le monde bleu de l’oubli…

Un temps long

ELLE- tu es là mon bel amour tu es là dans ton linceul tu as le visage mouillé des jours de pluie je suis là près de toi et je t’aime même si tu ne me vois pas tu m’entends dans mes soupirs tu m’entends te le dire que je suis là près de toi je te vois dans la nuit bleue tu as le front plissé d’éternité à force de m’attendre à force de fixer la ligne de coton blanc qui enveloppe nos étreintes

LUI – C’est bien ce que je disais, elle est partie dans le monde bleu de l’oubli, je l’ai accompagnée dans ce train. Depuis, plus rien, je n’ai plus de nouvelles, et j’attends sur ce quai depuis plus d’une semaine, j’attends en vain un signe d’elle, mais je ne vois que des gens qui vont et qui viennent, des visages remplis de joie, remplis de peine, des enfants qui courent et qui s’agitent, et ces trois ou quatre notes de musique électronique, qui précédent l’annonce d’un train qui va venir, d’un train qui va partir…

Un temps

ELLE- tu es toujours pressé tu cours sans cesse tu cours après les trains qui sont déjà partis tu crois que ça va venir si tu t’agites tu cherches la lumière dans le couloir obscur de ta vie tu vas et tu viens sans relâche quelle est cette brûlure qui te fait courir quelle est cette blessure que tu crois voir dans la figure de l’autre qui t’attend qui n’en peut plus de t’attendre l’autre qui te supplie de t’arrêter de regarder de prendre le temps d’accueillir sa présence juste le temps de constater qu’elle n’est pas celle que tu crois quand tu dors dans tes rêves la nuit mais aussi le jour lorsque tu cours dans cette gare et que tu es sûr qu’elle est partie avec un autre que tu ne connais pas et qui rôde depuis le début

LUI – Depuis le début, dis-tu, depuis le début il rôde cet autre, c’est ça que tu dis, n’est-ce-pas ? Il rôde depuis le début celui que je ne connais pas et qui t’accompagne dans ce train à chaque fois, il est là avec toi, il me voit, il sait que tu vas partir sans moi.

ELLE- ce n’est pas ce que j’ai dit tu es encore trop pressé tu ne m’as pas entendue dans mes pensées tu n’as retenu de ce que j’ai dit que cet autre que tu ne connais pas c’est tout ce que tu as retenu

LUI- Tu parles, tu parles sans arrêt et tu voudrais que je t’entende. Mais je ne peux pas te suivre dans cette vague qui déferle sans cesse, il faut que ça s’arrête parfois, il faut des pauses, des temps, pour que je t’entende et que je te vois, enfin apaisée, débarrassée de cet autre qui rôde et qui veut t’emmener dans le monde bleu de l’oubli…

ELLE- dans le monde bleu de l’oubli où je suis avec cet autre depuis le début lorsque le soir je bois et que ça n’en finit pas de se défaire de se découdre tous ces mots qui tournent et qui retournent sans cesse ces mots toujours les mêmes que tu n’entends pas que tu n’entendras jamais car tu es trop pressé tu veux toujours venir et me voir gémir alors que je suis prise par mes mots que tu ne connais pas

LUI- Que je ne connais pas, que je ne connaîtrai jamais, je le sais depuis le début, c’est pour ça que je voulais que tu viennes avec moi, c’était mon espoir secret, que tu viennes enfin avec moi et que je t’arrache aux mots de cet autre qui rôde depuis le début.

ELLE- depuis le début il rode cet autre il n’est pas de ce monde il est parti dans l’autre monde là-bas du côté de l’oubli

LUI- Pour toujours là-bas avec lui, tu es avec moi, Ô mon amour.

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