Ils étaient tous là, réunis pour parler de la beauté ; philosophes, peintres, poètes, simples esthètes, amateurs de belles belles choses ; assis en cercle (la plus belle, la plus parfaite des figures).

 

Après quelques échanges informels, l’un d’eux interrogea : « Avons nous encore quelque chose à dire sur la beauté ?… Quelque chose qui ne soit pas complètement éculé ? qui ne soit ni rebattu de platitudes, ni épuisé par tant d’avis fanatiques, ni essoré par moult essais, ou agonisant sous ces théories qui ambitionnent de résoudre ses énigmes ?

 

Puis je vous avouer mes amis que… je suis insensible aux romantiques extasiés qui laissent filer leur miel onctueux sur la beauté ; insensible aux poètes enamourés qui transpirent la beauté par tous les pores de leur ego ; aux artistes qui s’empiègent avec délectation dans ses filets charmeurs ; aux esthètes qui s’autoplaisent à disserter sur ses enchantements ; bref, insensible à tous ceux qui l’encagent de leurs émotions, l’enlacent de leurs mots, et l’emprisonnent de leurs rimes, car rien ne donne accès aux secrets de la beauté, et tenter d’en rendre compte ne lui fait pas pour autant rendre gorge !  Parle beauté parle ! Fais entendre ta voix ! Dis nous ton dernier mot !…

 

Je vous accorde qu’il est aisé de la reconnaître quand elle se domestique ; quand normalisée, photo-shopée dans nos magazines, produit commercial, esthétique de bazar, elle se prostitue. Beauté fardée, estampillée, reproductible. Beauté convenue et conventionnelle, si facilement accessible qu’elle ennuie et ne fait pas rêver. Elle scotche ses admirateurs comme des papillons à la lampe ; les immobilise, les anesthésie, les interloque et les bloque, souvent, les rend bêtes !  Ah ! la Belle et les bêtes… De grâce, n’évoquez plus cette beauté statique, apprivoisée, arrogante, et bavarde ; elle est d’une telle tristesse !…

 

A vrai dire, la beauté n’est ni bavarde ni muette. Simplement, elle parle une langue inconnue, bien que langue vivante. Quand elle se fait docile et jolie, recueillie dans nos livres, ou encadrée dans nos musées, on croit la connaître… Mais quand elle sort des cadres, des canons et des codes, quand elle déroge et quand elle déloge, quand elle surprend ou prend des voies étranges et met les voiles, on crie à l’imposture et au travestissement ! On ne la reconnaît plus aussi facilement.

Cette beauté détient des pouvoirs magnifiques et maléfiques ; elle attire et violente à la fois. Elle dit : « Approche moi ; saisis moi si tu peux, mais sache que je t’échapperai ! Je suis intouchable, indomptable, sauvage, libre ! Tu fais l’artiste, l’amoureux ou le prétentieux ; tu m’embrasses avec tes mots savants et creux ; tu singes ma langue avec tes rimes et avec tes vers ; mais, de moi, tu ne sauras rien. Je suis un trompe l’oeil et je te ferai tourbillonner longtemps. Au jeu de cache-cache, je suis si experte que, très vite, tu me supplieras, espérant que je daigne te jeter le regard qui te comblera à jamais.  Sache le, je suis celle qui échappe ! La fugitive !»

 

Chers amis, sur des siècles et des kilomètres de bibliothèque s’étirent des évocations, des incantations, des odes et des hymnes à la beauté. Ma préférence, vous l’avez compris, ne va pas aux livres mais aux ivresses, au versant chaotique et alchimique. Beauté difforme et protéiforme, vilaine et vive, bancale et brute, imparfaite et impétueuse, dérangeante et décapante.

La beauté est une bête sauvage qu’il faut laisser courir en liberté : une re-belle ! »

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