Entassés dans l’ombre, ils attendent. Aucun d’eux n’a jamais combattu mais chacun connait son rôle. C’est ainsi que le système les a façonnés. Ils sont prêts pour l’unique mission de leur vie : anéantir le mal qui ronge l’homme. Le bain de sang est leur univers rêvé. Les kamikazes attendent, l’arme chimique chevillée au corps.

Une alerte est déclenchée. L’énorme couvercle rond de leur camp de base vient de s’ouvrir. L’attaque est imminente. Après les légions d’Afghanistan et les combattants du Kurdistan voici le commando Dafalgan.

C’est le grand saut. Ils arrivent dans la trouée de St-Omac où Rhésus, le préfet de police les accueille. L’atmosphère est chargée des relents de victuailles festives et d’alcools nauséabonds. La troupe se prépare à attaquer sous le commandement de Paracétamolus, guide suprême du principe actif.

  • Comment est le sang, demande-t-il?

  • Pas terrible. Courant force 12, 38 de température, répond Rhésus pas vraiment positif.

  • Encore ce fichu réchauffement climatique …

  • Ce n’est pas tout, je viens de libérer le bataillon Ibuprofène, vous savez, les gars de la Narine…

  • Je vois, c’est la crise.

  • Oui, la crise de foie aussi, tout se perd. Assez discuté, c’est l’heure!

Depuis son poste de commandement du vaisseau amiral, Paracétamolus, surveille les opérations, les yeux figés sur son écran plasma. La troupe met le cap sur Saint-Crâne. Tous savent que la partie sera rude. Les eaux écarlates du fleuve sont jonchées d’amas de fer, de zinc et d’autres matériaux. Le pays est à feu et à sang ; on annonce une révolution dans la région de la Gambette Orientale où des champs guerriers se font entendre :

C’est la lutte virale

Groupons-nous et demain

L’interfémorale

Sera le genre sanguin

Plus vers le nord, le volcan du Mont Médiastin assène des coups de plus en plus lourds et rapides. Le débit du fleuve Aorte s’accélère. Les troupes progressent, guidées par les nageurs de combats. À la sortie de la rivière Carotide, les ondes maléfiques de la douleur à combattre parviennent déjà aux premiers voltigeurs. Comme leurs ancêtres qui jadis jugulèrent les plus violentes migraines, ils se sentent plus forts que jamais. Dans le vaisseau amiral, c’est l’hypertension. Rhésus qui n’en est pas à un calcul près propose que l’armée rouge des globules prenne part au combat. Paracétamolus qui n’est jamais à côté de la plaquette accepte.

Lorsque la coalition arrive sur le terrain des opérations, le guide suprême appelle le chef du bataillon :

  • Coagulus, m’entendez-vous ?

  • Je vous reçois cent sur cent.

  • Comment est l’ennemi ?

  • Une véritable enflure.

  • Il va falloir tenir bon Coagulus ; je viens d’avoir une nouvelle à vous glacer le sang …L’ennemi a fait allégeance à l’État Histaminique.

  • Nous sommes dans la dèche alors …

  • Courage, Coagulus, nous vaincrons !

Le combat fait rage. Les kamikazes s’abattent sur l’infection comme un antibiotique sur un sporozoïte sans papiers. Ils affrontent une nuée de corpuscules commandés par la bande à Bacilles. Les pertes sont considérables. Après quelques heures de lutte acharnée, la poche de résistance se troue, ne laissant paraître qu’une infection bénigne. Mais la bataille fait toujours rage dedans et dehors. Les coups de sang se mêlent aux tirs sans coup férir. Enfin, la pression se relâche dans toutes les voies d’accès à Saint-Crâne. La victoire est à portée de chromosome. Le chef sait que Bacilles n’est plus un coq en pâte en son royaume mais une loque délicate de lipomes.

L’assaut est terminé. Devant son écran, Paracétamolus respire, bien que la pilule soit dure à avaler. Il pense à ce qui restera de cette bataille et à tous ces combattants sacrifiés à la rencontre d’un destin programmé. Ils ont vaincu le mal, mais quel mal et à quel prix ? Fallait-il mourir pour Saint-Crâne ? Il ne sait qu’une chose : mieux vaux mourir dans un bain de sang que terminer périmé sur l’étagère d’une pharmacie de salle de bain.

Stan Dell

Décembre 2015