Paris est de brume et de pluie. Les essuie-glaces ont un rythme régulier qui prolonge le ralenti du matin. Tchac, shuit tchaac shuuit. L’eau ruisselle, puis se déplace en laissant le pare-brise irisé. J’écoute le récit du monde à la radio. Le Moyen Orient enterre les morts de part et d’autre de frontières imaginées. Tandis que les bulldozers écrasent les maisons palestiniennes, à Jérusalem, un jeune homme de vingt ans déclenche, près du King Salomon le détonateur de la bombe qu’il porte sur lui. En Asie, les bombardiers grondent. Les américains traquent un homme en faisant exploser des montagnes. Des conférences se succèdent en Allemagne pour investir dans la reconstruction des villes fantômes de l’Afghanistan. Une pétition est lancée pour sauver de la lapidation une jeune Nigériane qui a eu un enfant illégitime. Enfin on craint de nouvelles inondations dans la baie de Somme et pour le Paris Saint Germain le dernier match est décevant.

Une voiture vient de s’arrêter à ma hauteur. C’est le dernier modèle luxueux d’un monospace de marque. Le conducteur tient d’une main le volant, de l’autre un téléphone portable, le coude appuyé sur la portière. La voiture comme le maître présentent tous les signes extérieurs de la réussite. On devine l’air climatisé qui assure la température constante de l’habitacle, la musique parfaitement stéréodiffusée, numérisée, télécommandée. On comprend qu’il est occupé à régler, d’une voix ferme, un agenda chargé. Le bruit de l’essuie-glace sert de fond sonore à ce spot publicitaire, vécu « en direct live ». C’est une bonne manière de regarder le monde, surtout lorsque l’embouteillage de la Porte Dorée s’aggrave à la mesure des coups de klaxons sporadiques.

Ce soir entre deux vrais films publicitaires, on verra les images du journal télévisé comme un rêve récurrent où la violence se décline de plans larges en plans rapprochés. Sur un fond sonore de sirènes de police et d’ambulance, le ton du journaliste sera d’une grande sobriété pour commenter les attentats, les représailles, les démarches diplomatiques et les inondations. Seul le match de football peut autoriser l’expression de sentiments bien légitimes.

     J’ai avancé d’un mètre. Le conducteur derrière moi vient de me rappeler à l’ordre par un appel de phares insistant. Mon angle de vue sur le monospace a changé. Un jeune enfant est assis dans un siège de sécurité. Il doit avoir un an environ. Nos regards se croisent. Dans son visage rond, les yeux sombres ne cillent pas. Il a l’air grave.

     Les essuie-glaces laissent passer – tchaac shuit shuit- un air frais. Les files de voitures deviennent plus compactes jusqu’à former un relief bosselé de hauts plateaux.

Ce sera le matin. Le vent des crêtes siffle sous les portes la plainte lointaine du monde. L’enfant-lama s’est dressé. Il reste assis sur les couvertures ouatinées. Il ne réclame rien. Il observe juste au-delà des murs, la lumière rasante de l’aube. Il écoute le bruit régulier des moulins à prières -tchaak, shuuit, shuit. Dans le ciel d’un bleu absolu, on peut voir une trace de lune parfaitement ronde. En lui parle la mémoire des fleuves aux sources himalayennes. Il devine dans l’ombre du temple les parchemins imprégnés d’encens. Il sait tout cela. Il se tient bien droit sur l’édredon de couleur. Une trompe a résonné, plus haut. La montagne a vibré.

     Un coup de klaxon me fait sursauter. J’ai laissé vides deux mètres de bitûme devant moi et un calcul rapide de conducteur avisé peut aisément arguer que cette distance-là, dans un embouteillage est d’autant plus estimable que les feux de croisement sont d’une durée très courte.

     L’enfant n’a pas bougé. Je le vois une dernière fois dans mon rétroviseur latéral. Son père a baissé la vitre et s’adresse avec véhémence à un autre conducteur qui tente de se garer. Le monospace est bloqué.

     L’enfant lama a placé ses mains potelées devant lui. Dans le lointain, là où porte son regard, la poussière ocre du plateau s’engouffre dans le temple. Tchaaak shuuuit, shuit… Les flammes des bougies se penchent comme des fleurs dans le vent.

     Les essuie-glaces laissent passer – tchaac shuit shuit- un air frais. Les files de voitures deviennent plus compactes jusqu’à former un relief bosselé de hauts plateaux.

Ce sera le matin. Le vent des crêtes siffle sous les portes la plainte lointaine du monde. L’enfant-lama s’est dressé. Il reste assis sur les couvertures ouatinées. Il ne réclame rien. Il observe juste au-delà des murs, la lumière rasante de l’aube. Il écoute le bruit régulier des moulins à prières -tchaak, shuuit, shuit. Dans le ciel d’un bleu absolu, on peut voir une trace de lune parfaitement ronde. En lui parle la mémoire des fleuves aux sources himalayennes. Il devine dans l’ombre du temple les parchemins imprégnés d’encens. Il sait tout cela. Il se tient bien droit sur l’édredon de couleur. Une trompe a résonné, plus haut. La montagne a vibré.

     Un coup de klaxon me fait sursauter. J’ai laissé vides deux mètres de bitûme devant moi et un calcul rapide de conducteur avisé peut aisément arguer que cette distance-là, dans un embouteillage est d’autant plus estimable que les feux de croisement sont d’une durée très courte.

     L’enfant n’a pas bougé. Je le vois une dernière fois dans mon rétroviseur latéral. Son père a baissé la vitre et s’adresse avec véhémence à un autre conducteur qui tente de se garer. Le monospace est bloqué.

     L’enfant lama a placé ses mains potelées devant lui. Dans le lointain, là où porte son regard, la poussière ocre du plateau s’engouffre dans le temple. Tchaaak shuuuit, shuit… Les flammes des bougies se penchent comme des fleurs dans le vent.

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