Il voulait me posséder et mon erreur – je l’aimais – c’est de l’avoir laissé croire et d’avoir cru que c’était possible. Il me désirait transparente et docile.
Il était peintre, j’étais son modèle, son unique modèle, il m’avait à sa disposition. Il m’épiait, il voulait tout deviner de moi. Tout devait être limpide, il n’acceptait aucune zone d’ombre.
Personne, me disait-il ne peut rester comme toi, des heures et des heures sans bouger. Au cours de ces longues séances, il m’arrivait après avoir un peu bu, de m’endormir, il en profitait alors pour me peindre sans aucune pudeur. Il m’aimait tant !
Il livrait mon image en pâture, quelle obscénité !
Nos rapports devenaient de moins en moins civilisés, parfois même violents, très violents.
J’étouffais, ma vie devenait insupportable.
Je me mis à écrire en secret mes doutes, mes rancunes, mes frustrations, mes interrogations.
Écrire, avoir ce rapport intime avec moi, me permettait de me retrouver.
Il sentait ma résistance et ça l’inspirait, ces tableaux prenaient de la force, ils étaient meilleurs, plus prisés.
À ces expositions je rencontrais beaucoup de femmes qui m’enviaient d’être la muse de ce peintre si génial !
Mon quotidien restait inchangé, je posais toujours, je buvais de plus en plus.
La nuit, il m’arrivait de me lever et d’aller lire ces pages qui me parlaient de moi.
Puis un jour, tout a basculé, j’ai su qu’il lisait – mon journal.
L’imaginer descendre l’escalier, aller dans mon bureau, sortir de derrière les dossiers mon journal intime, fut insupportable.
J’avais accepté qu’il s’empare de mon image, mais là il piétinait ce que j’avais de plus intime.
J’étais arrivé au bout. Sur la dernière page du cahier, j’ai écrit : je pars.