La page dévoilait sa nudité. Une lumière douce, légèrement irisée, lui donnait une patine qui déjà la préservait de toute approche. Pourtant le geste d’écrire s’imposait précisément pour celui qui maintenant fixait la page, fasciné par son inaltérable blancheur.

Le sable recouvrait à perte de vue le paysage alentour. Seules quelques vibrations à même le sol, auraient pu laisser deviner la marche lente d’une caravane toujours invisible. Il regardait sans la voir, la frontière entre le ciel et les dunes. Au loin, plus loin encore que le déroulement figé du désert, le fleuve puissant charriait depuis les hautes chutes jusqu’à la mer, des limons tenus serrés dans les racines de papyrus.

La page intacte retenait toute son attention. Il devait écrire ou plutôt explorer ce vertige d’écrire, ou encore trouver la lettre juste qui de sa forme inconnue se placerait sur la page, signe absolu, capable seul, de troubler le miroir limpide. Il hésitait. Il lui semblait que rien n’était encore dit de cet espace entre les sables de l’origine et la pulsation du fleuve. Il savait seulement que la nuit allait peu à peu le cerner. Il devinait que les hommes s’étaient assoupis au même instant dans les plis de l’ombre.

Il savait aussi que la lumière fuyait à l’occident pour renaître de sa belle fragilité sur d’autres terres. Un autre, comme lui, guetterait alors le frémissement du jour. Là-bas. Il aurait, comme lui, attendu devant la page, de voir surgir les lettres vivantes, sinueuses, pleines et déliées à la surface trouble du miroir.

Il pressentait que le geste d’écrire accomplissait la promesse de nommer le monde pour s’y placer, le temps bref d’une vie. Dans la courbe des signes s’inscrivait un chant, né du souffle de l’écriture.

Les scribes du Grand Livre avaient la liberté de dissimuler Dieu dans l’absence des voyelles. Alors, à les lire, on partageait infiniment la puissance du silence, où s’écrivaient parfois, la beauté et une forme secrète du bonheur.