La voie des méchants est ténébreuse : ils n’aperçoivent pas ce qui les fera tomber. Livre des proverbes, IV, 19 ; IV S. av. J.-C.
L’Hijab
Une suite ininterrompue d’appels téléphoniques te réveille, te libère d’un cauchemar, d’un
personnage fantomatique, enveloppé de la tête aux pieds, dans des voilages sombres. Il se
déplaçait lestement dans ton salon, il ondulait comme la houle, puis, se plantant devant toi,
te barra le passage, t’accula sur la terrasse, pour te faire basculer par dessus la balustrade.
Ton cri le stoppa, il s’en retourna, en t’enfermant derrière les portes fenêtres. Les sons
stridents du téléphone redémarrent, le répondeur ne s’enclenche pas, tu l’as désactivé
comme ton portable, pour échapper aux messages de Damien, en congrès depuis hier
matin. Il ne te lâche pas. Il regrette sans doute de t’avoir laissée seule à Paris. Il est accroc à
ta présence, à la saveur indicible de vos ébats amoureux, comme à la coke. Tu te lèves,
prépare un thé, retourne au lit, avec ta tasse et le combiné du téléphone, dont le tintamarre
persiste
– Du calme Damien, je dormais, j’ai pris ma journée pour flâner
– Oui Damien, oui. Non Damien je n’irai pas te chercher à la gare, j’ai RV avec le
dentiste, on se retrouve comme convenu, directement chez nos hôtes
Epuisée, tu t’enfonces sous la couette, ferme les yeux, ton cauchemar ressurgit, s’impose et
défile comme un mauvais film. Pas de formule magique pour l’arrêter, tout comme avec la
tyrannie de ton mari. Au début de votre liaison, lors d’une balade au jardin du Luxembourg,
tu t’attardes devant le rucher, lorsque tu entends « Lola dépêche toi, Paul n’aime pas les
retardataires». Il t’a appelée Lola ! « J’adore ce prénom, te dit-il joyeux en t’embrassant,
c’est plus sympa que Yasmine et puis Paul est un brin raciste alors tu
comprends ». Désarçonnée tu ne dis mot. A la veille de passer devant Monsieur le Maire,
vous dînez à la Closerie des Lilas. Il te montre l’alliance sertie de diamants, qu’il t’a choisie, et
t’annonce que votre voyage en Tunisie est annulé. La côte ouest des Etats Unis est tellement
plus attrayante dit-il. L’assurance de revoir tes parents s’effondre d’autant que Damien, lors
d’un contact téléphonique, les a dispensés d’assister à votre mariage, prévu dans la stricte
intimité. Ta nationalité Tunisienne est prohibée, ton physique à peine typé permet cet
artifice. La peur s’égare en toi, asphyxie tes affects et pensées que tu incarnes dans des
mots, qui s’emmêlent et s’ordonnent dans des cahiers sous clé à ton bureau.
En radiologue expérimenté Damien a radiographié ta psyché, et décrété : « absence de
caractères distinctifs et de noyau rebelle ». Aux repas il se plait à fixer, de ses yeux bleus
acier, ta dérobade lorsqu’il épingle les étrangers en France ou, qu’il tourne en ridicule, la
désespérance stérile des usagers de l’Association, où tu travailles comme psychologue.
Depuis peu ton « infertilité » déclenche son courroux. Il a pris rendez-vous avec un éminent
spécialiste afin que tu le consultes. Seulement voilà ! Tu as gardé le stérilet, que ta gynéco t’a
posé, avant de rencontrer Damien.
Vers onze heures tu te lèves. Ton cerveau surchauffé, tel un volcan en éruption, pulvérise ton
abdication nécrosante. Tu achètes sur le web, le bonnet tube blanc et l’hijab bleu outremer,
assorti à ta robe longue en lin. A seize heures, ils te sont livrés. Tu les emportes chez ton
amie Dorothée où tu t’apprêtes pour la soirée. Sur ton body noir, en dentelle, tu enfiles ta
robe. Ton amie s’évertue, à l’aide d’une vidéo sur internet, à ajuster élégamment le voile, sur
le bonnet, qui cache tes cheveux. Afin d’inaugurer ta tenue vous prenez l’apéritif, aux Deux
Magots, à Saint-Germain. Étrangement, tu sembles à l’aise dans cette toilette. Vers 20 h,
calme et déterminée, tu te rends sur les Champs Elysées. Tu sonnes chez Laure et Paul les
amis du cercle de golf de Damien. La maîtresse de maison, refuse de te laisser entrer. Tu lui
racontes qu’il s’agit d’un pari. Elle finit par céder. Un silence de mort t’accueille. En l’espace
d’un éclair Damien se jette sur toi, te frappe, taillade et arrache robe et hijab, avec son
couteau de poche Laguiole. Damien est enfin maitrisé par ses amis. Tu te retrouves en body,
dans le salon, tremblant, la gorge nouée. Tu te précipites dans les escaliers, que tu dévales à
toute allure. La maîtresse de maison, court après toi, et te balance une gabardine et ton sac.
Un taxi passe, tu le hèles « 65 rue Notre-Dame-des-Champs c’est urgent ». Dès que tu arrives
à l’appartement, tu ranges la gabardine, mets un survêtement, vide le tiroir qui renferme tes
documents personnels dans un sac de voyage, y entasse vêtements, chaussures, lingerie,
ordinateur puis, tu décampes en claquant la porte. Dans la rue, tu aperçois l’arrière du
coupé Mercédès blanc de Damien, qui s’engage dans le garage. Tu retournes dans le hall,
descends te réfugier au 2è sous-sol, esquivant le 1er, où se trouve votre box. La flèche
clignotante de l’ascenseur, te signale, que Damien monte vers votre étage. Tu sors, rejoins en
courant la station Vavin. Sur le quai, tu t’actives pour trouver une chambre d’hôtel, avec ton
iPhone, puis tu enlèves la carte Sim, tu t’en débarrasseras plus tard. Tu as un autre portable,
ton mari l’ignore. Le métro arrive, tu es soulagée
Demain tu iras en train à Marseille, tu t’envoleras pour Tunis, en ayant évité, les aéroports
parisiens. A l’hôtel, en rangeant ton sac de voyage, tu aperçois une enveloppe ornée d’un
drapeau français. Tu te souviens, pour l’anniversaire de vos quatre ans de mariage, elle
trônait sur ton assiette. En l’ouvrant, tu découvrais un dossier de déclaration d’acquisition de
la nationalité française, par mariage, adressée à la Préfecture, avec une demande de
francisation de ton prénom. Damien avait noté, où tu devais signer. Il a attendu ta réaction.
Un ange est passé. Il s’est levé pour te gifler. Ce sont les chaises, qui ont reçu ses coups de
pied, avant qu’il ne sorte
Tu as perdu ton mari, tu as acquis la nationalité française, tu as sauvegardé ton prénom
Yasmine