Séquence frissonnante, j’entre à Kandahar

                     précédé de quatre léopards des neiges…

                     Je ne somnole pas,

                     je lis du visible à ciel ouvert.

                                               André Velter, Étapes brûlées

 

Toi qui as vingt ans

et qui n’écoutes pas de musique

Toi pour qui depuis toujours

ville et ruine sont des synonymes

Toi qui n’as toujours su voir

que des femmes invisibles

Que fais-tu dans cette mer de sable

et dans ces labyrinthes de cavernes

à regarder neiger des bombes

à voir fleurir des mines explosives

qui transforment les passants en fous feux d’artifices ?

Toi qui as vu les soldats russes

le pouvoir taliban

et la rébellion du nord

voici venir maintenant les États-Uniens

Sais-tu qu’ils ont perdu quelques avions

quelque part dans une lointaine Amérique ?

T’a-t-on dit qu’on a mis en échec

leurs deux plus hautes tours ?

Vois-tu aujourd’hui pleuvoir les sacs-secours jaunes

de loin les distingues-tu bien

parmi toutes ces autres bombes qui tombent

comme tous les jours depuis que tu es né ?

Et vois-tu bien avant que les missiles cette nuit n’explosent

que le drapeau peint dessus n’a plus les mêmes couleurs qu’avant ?

On dit que ce seraient celles de la liberté

comment dit-on ce mot dans ta langue natale ?

Si tu l’ignores comme tant d’autres choses vaines

est-ce vraiment parce que tu n’es jamais allé à l’école ?

Sauras-tu bientôt que la guerre

n’est pas l’unique pain quotidien

verras-tu un jour que la paix est elle aussi

une forme étrange de la vie ?

Bernard Pozier, Dès l’origine, Écrits des Forges / Phi, 2005

 

 

Bernard Pozier est né à Trois-Rivières en 1955. Il est directeur littéraire des Écrits des Forges, vice-président de la Maison de la poésie de Montréal et Membre du Conseil Académique de Letras en la mar. Ses ouvrages les plus récents sont Naître et vivre et mourir, Carnets de México, Biens et maux, Agonique agenda, Post-scriptum et Le temps bouge la Terre passe. Sur manuscrit, son ouvrage Ces traces que l’on croit éphémères a été lauréat du prix de la revue Levée d’encre en France, en 1988. En 2012, il a reçu la Médaille de la Reconnaissance de l’État d’Aguascalientes au Mexique pour l’ensemble de ses travaux d’écriture, de traduction et de diffusion de la poésie mexicaine au Québec et, en 2013, le premier prix de calaveritas du Consulat du Mexique à Montréal.