J’ai oublié ton prénom.
Je l’ai effacé ; au propre, au figuré.
Je l’ai imaginé écrit sur un tableau noir,
un tableau d’école, sorti tout droit de l’enfance et de ses effrois.
Ton prénom, en toutes lettres, en majuscules.
Des majuscules impressionnantes ; écrasantes.
Tu prenais toute la place sur ce tableau.
J’ai détourné le regard.
C’était trop inquiétant, ces lettres qui me jugeaient si minuscule, si ridicule.
J’ai regardé l’éponge.
Sur le rebord du tableau, l’éponge toute mouillée, ruisselante.
Je l’ai attrapée, à pleine main.
Je n’ai réfléchi à rien.
J’ai agi d’instinct.
Je t’ai effacée.
L’eau dégoulinait le long de mes doigts, c’était bon.
Quand le tableau fut tout propre, tout brillant,
j’ai pris la craie blanche, senti son odeur d’enfance,
et j’ai écrit, en tout petit, le surnom que je t’ai choisi.
En minuscules, j’ai écrit ton nom.
Cruella.
Te voilà soudain si insignifiante.
Te voilà soudain comique, un rien tragique.
J’ai eu de la peine pour toi.
Personne ne choisit d’être cruel.
Il n’y a pas eu de miracle, tu n’as pas cessé d’être cruelle.
La cruauté, c’est le désir de nuire,
c’est jouir de nuire.
Je t’ai observée dans ce désir-là.
Conscient ou inconscient, je ne sais pas.
Personne ne se revendique cruel.
Il y a eu un miracle.
Un miracle minuscule, comme les lettres tracées au tableau.
Tu es devenue minuscule, Cruella.
Ridicule Cruella.
Je t’ai regardée faire, je t’ai regardée dire.
Je n’avais plus peur de toi,
tu pouvais me dire n’importe quoi.
Ce n’était pas grave,
ce petit mot me protégeait de toi, à jamais. Cruella.
Un jour ou l’autre, Cruella,
on ne sera plus que poussière, toi et moi.
On ne sera plus rien,
à part de vagues souvenirs dans la tête de quelqu’un.
Alors à quoi bon ? Á quoi bon se déchirer entre futures poussières ?
Soudain je me souviens de ton prénom,
celui que j’ai effacé.
Je voudrais penser à toi, avec ce prénom-là.
Peut-être que ce jour viendra ?
En attendant, porte-toi bien, Cruella.