Fuir, là-bas, fuir…ce vers connu si approprié pour s’ajuster au mot choisi pour la soirée de rentrée du Buffet Littéraire, a suscité en moi une réflexion, voire une introspection, quoiqu’il se soit d’abord présenté comme un jeu sonore, où le signifiant et le signifié étaient pertinemment reliés.
En effet la fuite du souffle dans la légère constriction des lèvres pour tenter de le conserver, a mobilisé toute mon attention.. Le charme de la diphtongue associé à ce frôlement de l’air, la moue quelque peu érotique que nécessite la douce articulation de fui… ite,fui..te…tout concourait dans un premier temps à orienter mon propos vers une poésie ludique, lutine, sonore, suggestive, riche en prosodie, en fioritures allitératives et assonantiques.
Je me suis dit alors que pour débuter une nouvelle saison du BL, il convenait de ne pas fuir vers les contrées de l’art pour l’art, aux effets fugaces. Je me suis demandé quelles étaient en moi les techniques de fuite, si j’éprouvais même le désir de fuir, et comment et peut-être pourquoi. Les questions parfois, peuvent rester en suspend, d’autant que la rhétorique confirme dans ses jeux subtils, que la réponse se trouve dans la question.
Ainsi fut fait de la fuite. J’aborderai donc le sujet dans sa dimension réflexive, sans oublier, littérature oblige, d’émailler mon texte d’échos sonores où la fricative pourrait trouver toute sa place. Commençons donc par quelque méditation métaphysique et remarquons que l’orthographe brode les sons avec des lettres variées, qui donnent le Phi grec à la philosophie et le f latin à la fuite. Je pense donc je fuis pourrait ainsi être un cogito contemporain, tant il est vrai que la lucidité fait de la fuite une nécessité salvatrice.
Je fuis donc généralement les cafés avec écrans plats diffusant en boucle BFM TV, les magasins Nespresso, les Apple store, les Starbucks, les Hippopotamus, les forums Vegan, les pizza Hut, les échanges empreints de narcissisme pseudo intellectuel, les clics pétitionnaires sur FB, le site du Conseil national de la poésie, les plages estivales sur la Méditerranée, les journées du Patrimoine, les nuits blanches obligatoires, les fêtes de la musique européennes, le boulevard Hausmann en novembre, les marchés de Noël, les jardineries à la Toussaints, ainsi que Christine Angot et les ratons-laveurs…
La fuite serait-elle une manière hautaine de me séparer de mes frères humains ? Non, juste une précaution protectrice de mes neurones, pour leur laisser dans une forme de vide, le temps de se régénérer, pour tenter dans l’obscurité du monde de saisir l’infime lumière qui pourrait me donner à espérer. Comment en effet assumer, au jour naissant, d’avant le changement d’heure, les annonces apocalyptiques, de Trumperie en Macronie et autre Salvinie ? Comment regarder les cartes de l’Orient détruit ? Comment croiser dans les rues de Paris le regard des sans- logis ? Je fuis. Je tente de le faire. Mais où fuis-je ?
Je fuis dans un jardin, à Paris. Là, je peux regarder dans le reflet de l’eau, la fuite des nuages, les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! Là je peux regarder les enfants jouer, Ils ont des poids ronds ou carrés/Des tambours, des cerceaux dorés. Là, je peux me laisser glisser en douce rêverie et parfois laisser venir des mots en poésie « sur le vide papier que sa blancheur défend. ».
Mireille Diaz-Florian