Lampes dans des fenêtres à la tombée du soir, fruits à cueillir de la main du souvenir dans cette chaude obscurité des salles, comme scellées dans les vitrages, peintes de reflets où ne se lit nulle présence. Et dans l’autre fenêtre, trouant la nuit, le passage du miroir, cette paroi au fond, ce désordre de vignes grimpantes, cette unique fleur rouge, cette lumière tombée d’on ne sait quel ailleurs éclairant le lieu désert, où se cache cet autre que l’image ne montre pas. Et là, tout près, à portée de souffle, s’ouvrant au fond du puits d’obscurité de la fenêtre grande ouverte sur l’intérieur, le rectangle encore éclairé d’une façade dans une autre fenêtre sur l’arrière, qu’un paravent d’osier enlumine de ses ornements, traversée de rapides formes d’oiseaux, avec balustrades et fenêtres, qui, à la nuit presque complète, acquiert visage du miroir. La lumière des lampes alors est d’or. C’est au fond de soi-même que la fenêtre brille, que s’effacent les oiseaux, que la pierre, au noir ultime de l’éclat, devient soie d’un toucher. 

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Fenêtre grande ouverte sur le sombre, les passages de l’intérieur, les veines de lumière de lointains où sinue l’arabesque noire de quelque ciel dressé, quelque paravent léger pris à la nuit, dont, sur cette clarté éblouissante, resplendit la présence, tout en courbes et arcs. Ce paravent d’osier qui s’interpose, aussi noir qu’est blanc le fond de jour où il vient découper son ornement, concentre toute l’obscurité du dédale, toute la profondeur de vie de ces pièces sombres ouvertes sur le jardin, qui en occupe le centre, sur ces murs plus clairs qu’horizons, ces arbres minces, ces rares fleurs, cette immobilité de tout après le vent, mots échangés sur l’ongle. Tandis qu’avec le soir, l’espace se ramifie, le noir du paravent se fait plus dense, la crevasse de lumière plus aveuglante. Il entre et referme derrière lui la fenêtre, se fond à l’obscurité longtemps contemplée du paravent devenu le seuil. Là, un couple enlacé dans l’eau des rêves, damier de peaux des corps qui parait un vitrail, noire lumière des mains.

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Voix mélangées, lointaines, douces comme est la voix du vent à laquelle elles se mêlent. Peut-être qu’on s’entend mieux sur ce fond de voix, peut-être que la vague chante, que ces voix sont échos d’autres, que c’est nous qui parlons, d’autres qui nous écoutent, que les mains se rejoignent à l’instant que les mots reviennent, renvoyés par les lèvres. Peut-être que tu dors, rêves ces voix, ce jardin, ces passages dans la pénombre, ce miroir au fond de la fenêtre, ailleurs sans fin dérobé. Peut-être que les mots sont la lumière des rêves, qu’il suffit de toucher par les mots pour que la voix prenne vie, que l’un parle, l’autre écoute, sans plus savoir qui écoute, qui parle, que simplement la voix respire, peut-être cette musique lustrale d’eau qui coule et de bols tibétains, partagée dans les langues du jardin, est-elle ce balancement des corps, cette voix de l’un à l’autre qui porte mémoire des vies. Peut-être que, tout vent clos, les fleurs prennent souffle de leur couleur dans la lumière qui ne les éclaire plus, que le vent est à l’intérieur, pur jardin de la lisière.

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La nuit encore, l’aube sombre, les formes plus tranchées, les couleurs plus denses, la profondeur qui parait couleur, la sensation de la proximité des murs, des continents qu’y dessine l’usure, des lambeaux de peau qui les tapissent, les passages vers l’obscurité, les intérieurs où tout dort encore, fenêtres grandes ouvertes sur la nuit, le tournoiement sonore des insectes, la voix là-haut palpitant sous l’aile, à peine audible, pas plus qu’un souffle. Lumière qui, peu à peu, vient par les murs, par ces torrents de tiges incrustées, ces minces coulées de feuilles qui font cadres autour des fenêtres, la soie de quelques fleurs griffant la pierre, la couleur qui renaît du noir. Lumière doucement par la peau, par la chaleur du souffle, lumière à l’intérieur, par la courbe de l’éveil, la présence au corps, le repli au sombre, à l’écouté. Chemin de l’aisselle, la lampe, la voix écrite, le jour enfin, là, tout contre la nuit, la pensée qui s’ouvre, l’en deçà, la lisière. 

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