Le dernier roman d’Isabelle Minière commence ainsi :

Cher monsieur,

Vous ne me connaissez pas, ma lettre vous surprend.

J’aurais pu venir vous voir – on m’a dit beaucoup de

bien de vous. Je préfère vous écrire, j’ai du mal à parler. J’ai

une voix faible ; je me suis habitué très tôt à parler tout bas,

à ne pas faire de bruit ; j’avais toujours peur de déranger mes

parents. Surtout mon père, qui était plus sévère. On m’entendait peu,

mais j’avais l’oreille sensible… »

Il s’agit bien du début d’une lettre que Barthélémy Martin envoie à un monsieur inconnu. La première de toute une série qui constitue la trame du livre. Nous pourrions à juste titre parler d’un roman épistolaire, sauf que les lettres de Barthélémy ne reçoivent pas de réponse. Tout juste sait-on, au détour d’une phrase, que le monsieur en question lui a répondu au moins  une fois. On ne peut pas s’empêcher de faire le rapprochement avec le silence du psychanalyste  pendant les séances.

La comparaison s’arrête là car il s’agit bien de lettres que Barthélémy rédige et envoie à ce monsieur qu’il ne connait pas, mais dont il a entendu parler en bien.

Barthélémy a besoin de se confier mais comme il le dit, il a du mal à parler.

Il est conscient de son mal de vivre et s’interroge sur la nature de ce mal qu’il n’arrive pas à nommer.

Il souhaite savoir s’il est dépressif et consulte  son médecin généraliste qui lui conseille d’aller voir un psychiatre pour qu’il fasse un diagnostic. Il lui donne les coordonnées du docteur Blavar. (Bavard ?)*

Tout cela, et le reste,  Barthélémy en fait part à son correspondant anonyme.

Après sa visite chez le docteur Blavar, il va consulter le frère de celui-ci également psychiatre exerçant dans la même rue mais, installé en face de chez lui. Malgré la différence de méthodologie des deux frères psychiatres (passages savoureux),  il n’est pas plus avancé sur son état de santé psychique. Il aurait aimé qu’on puisse lui dire s’il était ou s’il n’était pas dépressif, ça l’aurait rassuré.

Sa vie personnelle n’est pas non plus très épanouie. Il partage sa vie avec une femme complètement addicte aux séries TV, qui a arrêté de travailler pour pouvoir s’adonner à sa drogue télévisuelle. Elle a relégué  Barthélémy dans une toute petite chambre qu’occupait le bébé des anciens locataires. Leur relation se résume à quelques post-it qu’elle lui laisse pour qu’il aille faire les courses et s’occupe de quelques menues tâches  ménagères. Elle s’adresse à lui en l’appelant bibi et exige qu’il fasse de même en l’appelant bébé.

Pas très reluisant, il en convient. Jusqu’à ce qu’il décide de partir. Mais sa décision n’est pas si simple et les rebondissements de son départ vont nous tenir en haleine jusqu’à la fin du roman.

Isabelle Minière a l’art de rendre attachants ses personnages et ce, dans tous ses romans. Son empathie pour lesdits personnages est communicative, sans jamais dépasser une certaine limite qui pourrait dévier sur une sorte de compassion un peu mièvre. D’ailleurs,  le regard que porte Barthélémy sur lui-même est très lucide et l’autodérision qu’il s’applique le rend encore plus attachant et sympathique.

On pense un peu à certains personnages des films de Woody Alen, mal dans leur peau mais tellement intelligents et malicieux derrière leur apparence frêle et fragile.

Et en ce qui concerne les personnages (souvent masculins) des romans d’Isabelle Minière, on pourrait ajouter qu’une réelle bienveillance les anime.

Isabelle Minière  a une plume, une voix singulière qui susurre à notre oreille la mélodie de la vie quotidienne de  personnages souvent un peu décalés, mais profondément humains, lucides et au fond, assez solitaires.  Son style est simple, concis, sans détour. Son humour, voire son ironie nous ravissent et ne sont jamais  négatifs. Les personnages qu’elle dessine sont en phase avec l’époque que nous vivons qui, à bien des égards, est anxiogène. Les réflexions de Barhélémy concernant le développement personnel et tous les poncifs et recettes que l’on trouve dans les manuels du savoir-être pour pallier les  difficultés existentielles des lecteurs  sont hilarantes.

Un livre qui se croque avec délicatesse et nous adresse un sourire d’une touchante humanité.

*C’est moi qui pose la question

 

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