On peut voir, posé sur la plage, un rocher arrondi, poli par des millénaires, à moins que ce ne soit un boulet tombé d’un astéroïde, ou encore un gros scarabée pétrifié… Mais le cœur n’est pas de pierre. Il bat doucement… C’est un corps-bloc. Un être accroupi, enroulé, tête dans la poitrine, bras autour des genoux. Est-il endormi, blessé, en prière ? Est-il de ce monde ou bien d’un autre ? Survivant ou envahisseur ? Ou tente-t-il de s’enfoncer, de s’ensabler, de disparaître ? Régulièrement, une respiration soulève cette masse.
Soudain, le corps s’ébranle, se déplie, se délie, se redresse, et, tel un automate, il ajuste ses mouvements avec de légères saccades. Corps svelte, anguleux, vibrant, inconnu. On sent l’énergie prendre possession de ses membres. On sent des forces bander ses muscles. On sent une impulsion, une détermination. Son visage concentre quelque chose en devenir. C’est alors que, mécaniquement, il s’élance, se jette en avant, prend de la vitesse pour ne dessiner qu’un trait.
Elle, elle que cachaient des arbustes, surgit d’un bond et crie « Reviens ! Reviens !… Viens me pousser ! ». Cette voix le bloque dans son élan. Il la rejoint, la pousse doucement, puis de plus en plus fort pour qu’elle monte haut-très-haut, jusqu’à ce qu’éclate son rire, que le vent l’enlace, qu’elle touche le ciel. Elle s’applique à combiner les mouvements des jambes et du buste, vers le haut, vers l’arrière, vers l’avant. Sa jupe gonfle comme un parachute. Méduse céleste, elle gagne en amplitude, commence à déplier ses ailes, et ouvre ses grands yeux dans le bleu.
Lui reprend sa course, bondit, conquérant, à l’assaut, mais-de-qui-mais-de-quoi ?… Saturé d’énergie, sur sa lancée, il accélère, enjambe les obstacles, et, machine déréglée, est propulsé par son fol emballement.
Elle, toujours-plus-haut-toujours-plus-vite, grisée, survoltée, tendue, rouge de plaisir, s’élève aux limites du mouvement pendulaire. Poussée par cette fièvre qui la consume, elle s’envole, s’éloigne à jamais.
Regard accroché au loin, il la perd de vue… Comme foudroyé, ses forces cèdent. Son ardeur le lâche. Brisé en plein élan. Epuisé. Chute. Roule en boule. Scarabée impuissant. Ses pattes prennent le pouls de la roche. Une plume virevolte. Le vent fait chanter le sable.