Anne Tasso
L’homme était satisfait, marié depuis peu. Il rêvait à sa douce aux lèvres framboise, à la peau laiteuse et aux longs cheveux noir encre, nattés. Il marchait du pas du bienheureux, un chapeau de paille sur la tête. Le soleil de quatre heures dardait de ses rayons brûlants. C’était le plein été, le temps laborieux des moissons.
Ce paysan, héritier de deux cents âcres était né la corde du pendu dans sa poche. Fils ainé de riches propriétaires, il avait reçu pour preuve de son émancipation, la moitié des terres familiales. Il était l’aîné, seul mâle de la fratrie.
Accompagné de son âne et d’une charrette emplie de blés, il avançait d’un pas impérieux, retrouver sa délicieuse et jeune épouse. Il la désirait tel un enfant se pourléchant à la vue d’un bol de crème épaisse, onctueuse. Son corps tout entier vibrait à l’idée de caresser cette poitrine voluptueuse de ses mains rugueuses, humer le parfum délicat de cette nuque, lui qui charriait le purin des écuries. Il était laid tout autant qu’elle était la beauté. Il était rustre tout autant qu’elle était la lumière. Celle qui éclairait son avenir, sa future descendance.
Il traversait le pont en pierre qui mène au domaine familial lorsqu’il entendit le timbre clair de la voix aimée, le bruissement de l’eau, un rire aux éclats. Elle était là, en chemise, à moitié nue, se baignant dans la fraicheur de la rivière, à l’ombre des peupliers. Sur le champ, il voulu la rejoindre, se revigorer, admirer sa nudité, la gouter. Son corps élancé se figeait tandis qu’un homme assis sous la voute du pont, nu comme un ver, apaisé, contemplait l’objet de tous ses désirs.
L’amant git au fond de la rivière rouge, égorgé par une faux.