Le jour était à son déclin. La mer s’était retirée, loin. Une marée de pleine lune. Les transats repliés, les cris des enfants apaisés, les vacanciers sur le dancefloor.

Promeneur attardé et méditatif, je devinai la silhouette d’un homme qui se détachait sur le désert de l’horizon. De plus près, je vis qu’il portait short et sandales en plastique. Il piochait-ratissait-ramassait, piochait-ratissait-ramassait, et jetait des bouts de choses dans un grand sac. Régulièrement il avançait de quelques pas, et recommençait.

« – Bonne cueillette ?… – Oh pas grand-chose, juste quelques coques, des débris, des carapaces, et des bouteilles ça oui ! capsules, gobelets, et surtout des emballages, toutes sortes d’emballages… Voyez le rivage : des hectares de sable et de plastique ! Voyez les vagues : des rouleaux d’algues en plastique ! Le rivage est sale. Et nous, on n’est plus des pêcheurs on est des bêcheurs. Ah ah ! ( rire forcé ). On a beau nettoyer, nettoyer… Et sachez que le pire ne se voit pas, il est au loin…, il est au fond… ». Il pointa l’horizon puis se remit à creuser, et à ratisser, et à ramasser, et à entasser.

A quelques mètres, je vis un autre homme qui s’attelait à la même tâche, puis d’autres encore, et encore, découpés dans les lueurs du couchant comme des pièces sur l’immense échiquier de la plage. Un épuisement et une lourde tristesse planaient sur ce tableau. Chacun portait le mécontentement de la mer sur son visage mais poursuivait son accablant travail de forçat. J’appris que c’était ainsi chaque jour, et depuis des années.

Tous rêvaient du temps où la mer était forte, mystérieuse et séductrice, où la plage s’offrait innocente à la pêche, aux jeux, à l’insouciance.

Tous rêvaient des temps anciens où les poètes chantaient la beauté du rivage

déroulaient leurs odes comme des vagues

enfonçaient leurs pieds dans le sable mou

berçaient les débris de leurs vies vagabondes

inventaient les clapotis pour leurs cœurs meurtris

enlisaient les caprices du reflux amoureux

ensablaient le rafiot de la jalousie

mêlaient rivage et visage pour que tournoie Vénus naufragée…

C’était avant…, quand le temps donnait l’illusion de s’écouler comme le sable éternel, que le monde poursuivait sa vie indifférente à la silencieuse catastrophe, que les plages océanes n’avaient pas encore attrapé la lèpre. C’était avant… quand les hommes apprivoisaient le soleil derrière des filtres, quand ils échafaudaient des histoires comme les enfants dressaient des châteaux de sable, qu’on appelait châteaux forts, et que la mer d’un coup de langue avalait, pas grave disait-on, on recommencera. Et on recommençait…

On recommençait et on recommencera. Bêcheurs-cueilleurs on se fera. Le rivage on imaginera.

Une réflexion sur “Rivage (Nicole Goujon)

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