Grêles, graves, grasses et grégaires, proches des masures, pesantes dans la pâture et dans leur posture, masses mastodontes,
Elles s’assemblent près du clos sous les chênes, elles sont leur base animée de leur hautaine stature ;
Comme elles, ils fondent le temps, ils bornent les champs et s’adressent aux brouillards comme aux amis du jour ;
Ensemble, elles s’ordonnent en groupes pour assurer que la nuit sera calme et répondre au soleil rasant les herbes ;
Elles racontent l’histoire : couchées, elles sont des rochers préhistoriques, granit blanc sur quoi vient buter l’avancée du temps ;
Elles arrachent avec douceur l’herbe, en font une alchimie chromatique pour nourrir les hommes de lait et de sang ;
Intriguées par le voyageur qui n’est pas de leur clos, qui n’est pas de leur clan, elles fixent leur mufle tandis que tout s’agite en elles ;
Sûres, elles vont, doucement, calmement, broutent ici, broutent là, avancent au gré de leurs doigts qui écrasent les mottes ;
Massives, multiples, elles se massent pour entretenir leur présence au fond de la mémoire ;
Elles assurent l’âme éprise du temps : l’illusion de leur éternité repose, et les bâtisses et les arbres venues après elles ;
Elles ruminent la durée rêche des étés secs autant que des automnes colorés ;
Leur soie s’allège de l’azur qui les élève au pied des châtaigniers ;
Mouvantes et mobiles, elles se détournent dès qu’on se désintéresse d’elles et disparaissent pour un autre clos ;
Ce sont des menhirs qui marchent, ce sont des pupilles qui s’émeuvent et aspirent toujours plus loin l’herbe des foules sauvages ;
Elles naissent du jour, apparaissent, vagues formes oblongues, dans les longues traînes des brouillards ;
Elles étaient là depuis toujours, depuis toutes les nuits, présentes, absentes aux regards haussiers moins fiers que leur dédain ;
Elles s’agitent calmement, des oreilles à la queue, d’un coup de tête qui leur tord le cou et l’échine vers l’arrière, d’un frémissement de leur cuir après une mouche ;
Elles broutent avec application, fermant les yeux de plaisir, raclant, râpant un large demi-cercle d’herbe au seul bruit de leur souffle puissant ;
Leur science surtout a la saveur des simples ! Qu’elles remâchent et remâchent, que leur ventre élabore ;
Et quelle force dans la fragilité de leurs ongles, dans le nœud de leurs genoux, dans leurs jarrets qui les fait grimper aux arbres ;
Et dans ce cou qui se tend au point que le fanon y forme un voile.