On m’avait confié un casse-tête. Je devais enquêter – à quel titre ? et ensuite rétablir, Mazette ! La situation, moi qui ne suis pas grand-chose dans l’organisation. Qui, des dires d’un vague sbires de la n+ hiérarchie, allait au plus mal. Munie du mince mail, qui résumait à plus que grands traits, j’oserai elliptiques, la situation – vous imaginez le manque de faits tangibles et les énigmatiques acteurs – désignés de pronoms impersonnels et de la brume suspicieuse que ce genre de préoccupation non étayée, engendre. Me voilà bien en peine d’inférer quoique ce soit de cette injonction. Et par quoi commencer ? Je tâchais en tâtonnant de rassembler des faits. Mais où chercher, sur le serveur ? je lançais l’IA sur les traces d’indices dans notre base de données. Je disais à Gémini, va ! cherche ! J’aurais mieux fait de l’appeler Médor. Mais Médor dormait. Il me sortit un vieux rapport, dont la date périmée me sembla immédiatement entachée de non validité. Je lui demandais alors de se pencher sur les noms des auteurs des faits rapportés. Le lançant dans l’organigramme, comme un chien dans un jeu de quille, il devait constater qu’il ne restait aujourd’hui pas grand monde, en chair et en os, dans notre société. Les plus jeunes, après s’être formés sur les postes réservés à la jeunesse, peu payés et sans espoir de carrière, avaient été plusieurs fois désertés. Quant aux anciens, la vague des départs à la retraite avait fait déguerpir la mémoire longue de notre entreprise. Les coordonnées des personnes ainsi dispersées sur d’autres organisations publiques ou plus souvent privées étaient hasardeuses à trouver. Trop d’homonymes. Quant à ceux qui restaient, mes entretiens m’envoyaient sur des pistes si divergentes les unes des autres, que je commençais à croire qu’aucun fil signifiant ne pourrait être tiré de tous ces verbatims patiemment collectés.
Une nuit agitée, mon rêve cependant me mit sur une piste. Une silhouette fumeuse m’apparut et me confia des liens – dont mon esprit la journée, n’avait rien flairé. Drôle de personnage, échappé d’un tableau surréaliste, à la tête d’œuf lisse, dont évidemment seules les paroles me mettaient sur la piste et dont mon cerveau regimbait à accepter qu’un visage sans traits et sans expression, pût me faire des révélations. Cependant, même si au réveil dans un premier mouvement, je balançais d’un revers de main toutes les inepties de la nuit, cette personne – incarnation de personne, me permit d’enfin de résoudre le puzzle manquant de pièces, à charge ou à décharge, sur ladite situation. Je vous raconte ça, mais cela fait belle lurette que je suis parti. Je sentis que cette affaire m’avait été mise en main par un ourdisseur de complot- dont l’intention n’était pas constructive, mais de se payer ma peau, pour dégager mon poste – pour un proche en mal de boulot. Depuis, devinez ! ces combinations ont été découvertes et aujourd’hui, démasqué, licencié, il n’est plus personne.
Que personne ne s’avise de l’imiter !
Diapré de ces splendeurs, couleur de scarabée à la nuit tombée, du chiffonnage des nuages compliqués après les fureurs, doré des bijoux de pacotille, vêtement de l’âme en fête- moqueuse de la richesse grave des milliardaires gavés. Doré du soleil rosé des matins paisibles, s’étirant en ligne dans le bleu fluet, doux en début de symphonie, goûteux en tartine généreuse après celui de l’amour odorant de la nuit comblée. Doré en barreaux de lit de princesse d’enfance, riche comme la croûte aux saveurs en mélanges de chaleur et de blé monté. Doré dans la lueur de complicité d’un alter ego juste rencontré. À contempler le maintien des paysages statiques en saisissant ses arbres dressés en soldats de service, picorés de la mobilité saugrenue du vol des oiseaux.
Simple. Je ne suis plus que miroir.
Miroir et paume. Où vous faire boire dans le creux de la main sa belle eau.
Trouble de n’être à cet instant plus rien ou plus personne.
Et pourtant gaillarde de volonté.
**
Là,
Dort un enfant sous le passage
Si fréquenté qui conduit au métro.
Il est allongé, sur une parka froissée
Le visage enfoui camouflé,
Sous la capuche du siècle.
Ses chevilles sont minuscules,
C’est ce qui m’a intriguée.
Ses guenilles sont parsemées
D’emballages de biscuits
Qu’il n’a pas entamés.
Je suis passée et j’ai voulu vérifier
Là, au milieu du passage
Des femmes voilées
Et des hommes en jogging
Son visage sali, mais basané
Aurait dû, depuis cette longue journée
Trouver un frère ou une sœur
Pour lui demander
Ce qui lui arrivait.
Là, depuis le matin
Il s’était retourné, lorsque je suis repassée.
Des centaines de personnes et moi
Toute la journée sont passées.
Et qu’avons-nous fait ?