Un regard, lancé par le jeune homme sur la zone portuaire à travers la fenêtre de sa chambre, suscite en lui une lumineuse jubilation. Oh enfin !… Enfin le mois de mars jusqu’alors empreint de pluies ou brouillards, semble bel et bien se terminer en littoral de Manche.

Oui, la journée s’annonce radieuse… Presque avril !…

Puisqu’un soleil idéal baigne Le Havre, il décide de se vêtir en printanier.

Avant de parachever sa tenue avec son blouson sans manche, qu’il enfilera en dernier, le voilà qui s’agace tout rouge, à boutonner le col d’une chemise rose pâle.

Durant l’hiver, aurait-il forci ?…

Qu’importe, il confirme le resserrement de l’encolure avec une cravate de soie, fleurie d’élégantes digitales.

Fier d’avoir osé cette coquetterie avantageant son physique relativement neutre, il est finalement déçu quand, arrivé devant le grand miroir de l’armoire, il se constate l’aspect emprunté.

Pire, il sent que ces digitales qui le plastronnent, en soi bien innocentes, voudraient de leurs tiges formant des doigts, non seulement le cravater mais l’étrangler.

Ah bah ça, pendant que l’on y est, pourquoi ne pas l’empoisonner !…

S’il meurt bizarrement, augure-t-il soudainement empreint d’une angoisse métissée de déroutante superstition, nul doute que le docte légiste requis n’aurait pas trop à se fouler pour en déterminer la raison.

Du coup le jeune homme se défait de sa cravate fleurie, ne la retient pas quand elle glisse et serpente, devient inerte sur la moquette. Puis il marche dessus en quittant la chambre.

Plantes toxiques que sans vergogne il foule à la plante de ses pieds pour aller, col de chemise ouvert, enfiler chaussettes et souliers.

Maintenant sur le boulevard, il respire à pleins poumons l’air du Havre, tiédi agréablement.

Par les sifflements de merles qui en jaillissent, les alignements d’arbres aux feuilles persistantes ravissent les piétons.

Que peuvent donc se raconter ces oiseaux-là, sourit le jeune homme, dirigeant ses pas vers le virage au-delà duquel il sait avoir stationné, hier soir, le superbe coupé-sport blanc emprunté à son père.

Oh, une demande de prêt exceptionnel afin que lui, puisse se rendre vers midi et dans l’arrière-pays, à un rendez-vous plein de promesses.

Quelques regrets le taraudent. N’a-t-il pas été trop prompt, voilà déjà cinq mois, en décidant ne plus avoir besoin de voiture personnelle ?

Ceci à cause de sa conscience qui s’empreint de culpabilité lorsque, par la faute des médias et autres écolos, il entend  seriner à longueur de journées que les possesseurs de voiture alourdissent monstrueusement l’empreinte carbone de notre monde sur-pollué.

Ceux-là mêmes n’évoquant jamais ce que, par milliers et à tous instants de chaque jour, les guerres engendrent comme pollution au moindre tir, jet de grenade, lancé de missile, explosion de mine, survol d’avion, navigation de torpilleur, incendie de site d’hydrocarbures bombardé.

Il bougonne, rage contenue, que tous belligérants ou déclencheurs de conflits devraient manu-militari être traduits devant une Haute juridiction mondiale, pour faits de planèticide.

Et ce, de manière aussi réactive que celle dont font preuve les passants qui dans nos villes, responsabilisent vertement un pauvre gueux surpris au volant de son modeste véhicule diesel.

Oui, le jeune homme rêve d’un monde meilleur où tous les va-t-en-guerre seraient lourdement condamnés pour crime envers la Planète.

Non pas « contre l’Humanité », la juridiction existe déjà, non, devant une Cour de Justice internationale défendant spécifiquement la bonne santé du globe.

Après tout, faune, flore, nature, présents sur Terre bien avant nous, ne demandaient rien !

Devisant ainsi sur son parcours, le jeune homme approche l’endroit où il gara le fameux coupé-sport blanc, exprès sous un lampadaire afin d’être visible de nuit.

Ainsi confié à l’implicite surveillance des promeneurs noctambules et des caméras policières, comme tous autres véhicules sagement rangés en bordure de chaussée. 

Lumineuse idée ?… Bah non ! Car si les réverbères attirent joyeusement les chiens à leur pied, affriolent pigeons et mouettes à leur faîte, à vrai dire et aux dires des Havrais, la fête n’est pas pour tout le monde. 

Le jeune homme découvre, consterné, que de monstrueuses empreintes de fientes parsèment la voiture, de ce fait devenue éligible à d’énergiques lavages sous rouleaux shampouineurs avant qu’il ne s’installe à son volant pour aller séduire la jeune Laura.

Une collègue qui lui plaît bien et avec laquelle il déjeunera.

Quelle feinte que vouloir, à fins de sécurité, stationner pour la nuit une voiture sous l’aura d’un lampadaire fienteur !

Autant de signatures qui, décidément, n’amusent que les merles moqueurs. 

Mais la raison de fulminer du jeune homme ne s’arrête pas là. Elle se redynamise lorsqu’il se rend compte que sur l’étroite banquette arrière de l’auto maintenant teintée de bronze, ne subsiste aucune trace du livre qu’il y oublia hier soir, après s’être arrêté en chemin pour l’emprunter à la Bibliothèque.

Un ouvrage de Jorge Semprun, titré Le langage est ma patrie, dont l’écrivain franco-espagnol développa le thème lors de l’émission télévisée « Empreintes », courant juillet deux mille onze.

Comprenant que la petite fenêtre custode située côté latéral arrière, est restée entre-baillée, il se fustige d’avoir omis de verrouiller le bras-crémaillère de ce ventiplane trapézoïdal, avant de refermer le coupé-sport de son père.

Bah !… se dit-il… Parce que sans doute gantée, à quoi bon faire rechercher l’empreinte, française ou hispanique, de la fine main voleuse qui se faufila au cours de la nuit à travers l’espace de vitre, ainsi bloquée à l’espagnolette…

« Empreintes » : émissions diffusées de 2007 à 2012 sur « France Cinq », présentées par Annick COJEAN.

Jorge SEMPRUN  fut invité à celle du 12 juillet 2011.

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