Larges, lourdes, lentes

lointaines et proches

les vaches de Rosa Bonheur

s’imposent

elles arrachent l’homme à la glaise

le tirent, le poussent :

elles sont l’effort

Les vaches de Rosa Bonheur

mâchent le temps

se souviennent de leur mère

que déjà menait Adam

Elles sont là, elles demeurent

ne meurent pas

c’est toujours la même

toujours une autre

vache de Rosa Bonheur

leur cuir est immense

épais

comme leur mémoire

leur robe prend des couleurs

soleil sur la soie

et le vent peint leur crinière

héritée des aurochs

les vaches de Rosa Bonheur

intiment le respect

le silence

presque une prière

devant la manne de la terre

Elles sont la viande

elles sont le lait

le hanap et le gilet

un œil dans le soir inquiet

comme une question

Au crépuscule

les vaches de Rosa Bonheur

réveillent l’étable

dans quelque ancienne Judée

Deux, trois, cinq, dix

peut-être cent

diverses et semblables

éparpillées comme des menhirs

donnant au pré, à l’herbe et aux arbres

leur assise tellurique

sauvages et statiques

ébauches de perfection

les vaches de Rosa Bonheur

beuglent un cri archaïque ;

le temps fouaille

dans les entrailles

ce cri d’une angoisse terrible

arrachent aux hommes la crainte du serein

on ne peut cesser de les peindre

comme le ciel, comme la terre

elles varient et demeurent