L’empreinte est un des thèmes les plus riches et passionnants de l’histoire universelle et, au-delà de la présence humaine, de toute la mémoire de la Terre. Une de ces empreintes, en particulier, est la signature la plus ancienne de l’homme. Elle semble pourtant élémentaire, au risque de passer pour anodine – et ce fut, ou c’est encore souvent le cas. On pourrait également la croire accidentelle, anecdotique ou fortuite, ou bien enfantine, purement ludique et, finalement, sans intérêt. Cette empreinte particulière, sans artifice ni fioriture et qui est la simplicité même, et enfantine dans le meilleur sens, se retrouve un peu partout sur la planète. Identique à chaque fois, et abondante et remarquablement conservée dans certaines régions protégées par leur situation géographique, à l’écart des centres urbains et des grandes voies de communication. J’en ai fait la découverte dans une région du Mexique qui constitue la Basse Californie, presqu’île de près de 1000 kilomètres sur la côte pacifique, loin de la Californie conquérante et triomphante de la Silicon Valley et des dépliants touristiques. Rappelons-nous que les territoires du Sud des Etats-Unis – Texas, Californie, Arizona, Nevada, Floride ou l’Etat appelé de nos jours Nouveau-Mexique – faisaient partie de la Nouvelle Espagne, puis du Mexique originel. Là-bas, de nombreuses grottes présentent la même marque humaine, isolée ou invariablement répétée, de façon horizontale ou verticale, parfois plaquée comme un accord de musique, accompagnant ou non d’autres figurations mais toujours – et c’est ce qui dès l’abord attire notre attention – toujours sur un mode apparemment spontané, sans apprêt ni intention particulière. Et cette marque est la plus belle de toutes les signatures : c’est notre main. Notre main ouverte, simplement posée, ou apposée, décalquée sur la paroi et laissée là, tout bonnement, à tout hasard. Une parfaite spontanéité, donc, sans mise en scène ou désir d’en imposer à quiconque. Ni mausolée ni pyramide. Juste une main ouverte, comme on dira une main tendue. A prendre ou à laisser.
Ne peut-on voir dans ce geste la plus authentique manière d’imprimer sa marque, à la fois la plus modeste et la plus affirmée, fraternelle et universelle : cette main ouverte nous rappelle que ce que nous faisons est cela même qui nous fait en tant qu’être humain. Elle semble dire : voilà ce qui fait, et façonne ; voilà ce qui nous fait, et nous façonne. Ainsi donc, dès l’époque de l’art le plus ancien, l’art pariétal, dans ce que nous appelons, faute de mieux (là encore) la « préhistoire », l’homme a pressenti et exprimé la fragilité comme l’unicité, le caractère définitivement unique de l’empreinte digitale, autre découverte essentielle, avec l’ADN, de notre modernité. Une fois encore, l’actualité tend la main aux origines, aux temps les plus immémoriaux. L’empreinte de la main ouverte est la signature de toute notre pensée : l’héritage, et le legs, de notre destin.