Konrad Lorenz et tous ces oisons, ces toutes petites oies, à peine nées qui le suivent, le suivent, le suivent… comme s’il était leur mère. Les images sont impressionnantes, et drôles.

Elles font ça d’instinct, les petites oies, c’est un réflexe, un mécanisme d’apprentissage rapide qui fait que le tout petit s’attache au premier « objet » en mouvement qu’il perçoit. Mécanisme quasiment irréversible, et qui concerne bien d’autres apprentissages, le comportement sexuel par exemple. Et c’est le cas pour beaucoup d’autres espèces.

L’empreinte des tous premiers instants de la vie, la transmission qui se passe à ce moment-là.

Et chez l’humain ? C’est plus complexe, mais ce qui reste impressionnant,  étude après étude, c’est l’attachement du petit de l’homme au visage humain. Visages en mouvement. L’empreinte est là.

Observez un tout petit, un plus grand, il cherche le regard, le visage. L’humain. Observez-vous, à certains moments…

La caisse automatique va plus vite mais elle n’a pas de visage. Pas de voix.

Elle ne sourit pas.

Vous croisez le regard d’un bébé inconnu dans la rue, vous lui souriez, son visage s’éclaire. Arc-en-ciel. Le miracle, c’est vous, un visage humain.

Et plus tard dans nos vies ? Quand on n’est plus un enfant ?

L’empreinte des visages, des mouvements de nos proches… et de nos moins proches, de nos éloignés ?

Quand mon père souffrait, physiquement, moralement, ou les deux, il fermait les yeux, une seconde ou deux, parfois davantage, comme pour dire…  qu’il n’y avait plus rien à dire. Ou pour dire autre chose, je ne sais pas. Je regardais ses paupières se reposer un instant, je leur souriais quand elles s’ouvraient à nouveau.

Je fais la même chose aujourd’hui. Je ne fais pas comme lui, non, je fais comme moi. En pensant à lui quelquefois. Son empreinte.

Quand ma mère s’apprêtait à me frapper, d’abord avec ses mains quand j’étais enfant, puis avec ses mots plus tard, elle se taisait brusquement, comme si elle prenait son élan, c’était presque drôle. Je me disais intérieurement : « Prêts… feu… partez ! » Ce qui me laissait, enfant, le temps de me protéger (coussin sur la tête, j’avais très peur pour mon cerveau), ce qui me laissait le temps ensuite d’imaginer une bulle invisible qui me protégeait de ses paroles : elles pouvaient alors glisser comme l’huile bouillante, du haut des châteaux-forts, au Moyen-âge, j’étais à l’abri. J’assistais à l’attaque, comme dans une scène de film et j’avais un peu pitié d’elle.

Façon de faire qui m’a été précieuse avec d’autres  personnes ; son empreinte.

On ne choisit pas ses empreintes, mais celles-ci, oui, je les aurais choisies.

Sur l’oreiller, la trace de se son visage, son odeur.

Sa voix. Ses façons de dire.

Quand il est soucieux, sa façon de se toucher les cheveux.

Ses gestes, ce balancement quand il marche.

Quand il est content, sa façon de rigoler pour un rien, comme un gamin.

Sa façon de s’arrêter en chemin quand il raconte quelque chose, comme pour donner du poids à sa parole.

Sa façon de dire « Je suis sûr de ça ! », même quand il n’est sûr de rien.

Sa façon de douter. Puis de douter de son doute.

Sa façon de lire, de reposer le livre, de regarder le plafond comme s’il avait des réponses à ses questions.

Sa façon de me demander « Tu crois ça, toi ? »

Sa façon d’être.

Ses empreintes.

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