La commande venait de tomber, simple et claire : écrire un texte sur « grain(s) » !… Voilà encore un sujet qui grince, se dit-elle, histoire d’afficher à la fois son mauvais caractère et son esprit.

Pas le choix… l’écrivaine-ma-maîtresse, se mit au travail. Elle commença par collecter tous les grains disponibles. Elle les glana partout, dans les livres et les dictionnaires, dans sa mémoire et dans celle de son ordinateur. Elle réunit ainsi assez vite un nombre de grains incalculable, de toutes provenances et origines. Pas de temps à perdre, elle engrangea directement les-mots-les-grains dans sa machine, les entassa pêle-mêle, en vrac. Récolte riche, et aussi impressionnante que désespérante ! Que faire d’un tel tas de mots ? Que faire d’un tel tas de grains ?…

Modestement, je crois lui avoir été de grande utilité. Elle avait coutume de travailler en me tenant, moi sa souris, dans le creux de sa main droite. Sa paume me couvrait totalement pour mieux me commander, me soumettre à ses désirs et au rythme de son travail. Elle ne cessait d’appuyer sur mon dos, et on entendait battre en série les petits clics de mon cœur informatique. C’est ainsi qu’elle et moi, avons remué, mélangé, mouliné et déposé tous les-grains-les-mots dans une sorte de sac-mémoire, en attendant… Car, en fin de journée, elle était fatiguée, et, allez savoir pourquoi, dans son calme énervement, et dans un grain de folie passager, elle tira d’un coup sec ma longue queue qui s’arracha violemment de sa machine et, geste aussi inexplicable que magique, elle me plongea dans le grand sac avec notre récolte !

Me voici donc, moi, la souris, dans un sac de grains ! Rêve de tous les mammifères de mon espèce ! Trop beau pour être vrai direz-vous… Pourtant, retrouvant ma vraie nature, mes moustaches frisent, mon museau commence à fouiller, je me sens toute excitée et … j’ai une faim de rongeur. Je me faufile, ignorant au passage les grains de plomb, d’ambre, de chapelet, totalement indigestes. Je renifle et délaisse également les grains de sel, de poivre et de café que mon estomac ne supporte pas. Quel plaisir de progresser vers la zone des bons grains, celle des céréales nutritives : le blé tendre, le maïs sucré, l’avoine soyeuse et tant d’autres. Je déguste, je savoure, je teste cette sélection exceptionnelle. Tout à mon plaisir de grignotage insatiable, j’oublie la douleur que j’ai ressentie au bout de ma queue lorsque je fus arrachée brutalement à l’ordinateur. C’est du passé ! Maintenant, je renoue avec ma vraie vie et me laisse aller voluptueusement à mes instincts dans ce sac providentiel.

Comme j’ai l’ouïe fine, je profite aussi de tous ces bruissements, crissements, cliquetis délicats que font les grains en glissant, se frôlant, roulant-coulant les uns contre les autres. Une ambiance musicale autrement plus subtile et plus charmante que celle des percussions que j’ai connue il y a peu, et dont j’ai été l’objet.

Mais…, mais…, aïe !…, je sens qu’on m’attrape par la queue, que je quitte mon monde, qu’on me rebranche à la machine, et qu’on me saisit à nouveau par la peau du dos !… L’écriture du texte n’est pas terminée, mais mon rêve, oui ! L’écrivaine-ma-maitresse sourit à la souris que je suis pour lui signifier qu’on se remet au travail. Elle a une idée semble-t-il ?

Elle reprend les grains, un à un, les trie, les triture, les trame, les travaille, et tapote mon dos de petits coups secs et continus. Elle enfile les mots, les assemble, les attache, les enchaîne. Je me hasarde à lui frayer un chemin, à organiser son parcours, à lui faciliter l’écriture en lui révélant mon expérience de passages labyrinthiques. Elle se laisse interrogée, guidée, et elle progresse, je le sens. Elle ne saura jamais qu’elle m’est redevable de quelques idées que je n’aurai pas la prétention de revendiquer.

Et puis, fini, terminé, classé, ouf !… Elle vient de poser délicatement un point final. Surprise ! C’est un grain de beauté ! Un petit grain de poésie bien à elle…

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