Les Loups et les Brebis

La Fontaine

Après mille ans et plus de guerre déclarée,

Les Loups firent la paix avec que les Brebis.

C’était apparemment le bien des deux partis ;

Car si les Loups mangeaient mainte bête égarée,

Les Bergers de leur peau se faisaient maints habits.

Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d’autre part pour les carnages :

Ils ne pouvaient jouir qu’en tremblant de leurs biens.

La paix se conclut donc : on donne des otages ;

Les Loups, leurs Louveteaux ; et les Brebis, leurs Chiens.

L’échange en étant fait aux formes ordinaires

Et réglé par des Commissaires,

Au bout de quelque temps que Messieurs les Louvats

Se virent Loups parfaits et friands de tuerie,

lls vous prennent le temps que dans la Bergerie

Messieurs les Bergers n’étaient pas,

Étranglent la moitié des Agneaux les plus gras,

Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.

Ils avaient averti leurs gens secrètement.

Les Chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement,

Furent étranglés en dormant :

Cela fut sitôt fait qu’à peine ils le sentirent.

Tout fut mis en morceaux ; un seul n’en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu’il faut faire aux méchants guerre continuelle.

La paix est fort bonne de soi,

J’en conviens ; mais de quoi sert-elle

Avec des ennemis sans foi ?

Les Animaux dénaturés

Vercors

“Mais, ai-je demandé, ‘encore singe et déjà homme’, qu’est-ce que cela veut dire, précisément ? Que ce n’était qu’un singe, ou que c’était un homme ?”
– “Mon vieux, m’a dit Sybil, les Grecs ont longtemps disputé de la grave question de savoir à partir de quel nombre exact de cailloux on pouvait parler d’un tas : était-ce deux, trois, quatre, cinq ou davantage ? Votre question n’a pas plus de sens. Toute classification est arbitraire. La nature ne classifie pas. C’est nous qui classifions, parce que c’est commode. Nous classifions d’après des données arbitrairement admises, elles aussi. Qu’est-ce que ça peut vous faire, au fond, que l’être dont voici le crâne entre nos mains soit appelé singe, ou soit appelé homme ? Il était ce qu’il était, le nom que nous lui donnerons ne fait rien à la chose.” – “Croyez-vous ?” ai-je dit. Elle a haussé les épaules. Seulement c’était avant.

Anima

Wajdi MOUAWAD

J’ai émis un couinement à peine audible. Il m’a entendu. Il s’est retourné. Il a d’abord cherché, puis, en se baissant, il m’a aperçu. Il s’est accroupi, il m’a regardé, je l’ai regardé, j’ai couiné, il a tendu sa main en ma direction et a dit Moi aussi ! Moi aussi ! sous terre, sous terre, et seul ! et il a éclaté en sanglots. Bouleversé par son amitié, par sa profonde affection, gratuite et généreuse, je n’ai rien pu lui offrir en retour. Comment être à la hauteur d’un tel don qui me faisait entrevoir ce que le geste de tendre une main vers son semblable a de sublime ? Il s’est relevé et je l’ai vu s’éloigner. Je ne me suis pas attardé. Je me suis faufilé entre le mur et le radiateur. Je me suis immobilisé. J’ai retrouvé mon souffle et mon attention. Les humains ne sont pas tous des pièges, ils ne sont pas tous des poisons, je veux dire par là qu’ils ne sont pas tous des humains, certains n’ont pas été atteints par la gangrène.

Le Hareng saur

Charles CROS

À Guy.

Il était un grand mur blanc ? nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle ? haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur ? sec, sec, sec.

Il vient, tenant dans ses mains ? sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou ? pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle ? gros, gros, gros.

Alors il monte à l’échelle ? haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu ? toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur nu ? nu, nu, nu.

Il laisse aller le marteau ? qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle ? longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur ? sec, sec, sec.

Il redescend de l’échelle ? haute, haute, haute,
L’emporte avec le marteau ? lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s’en va ailleurs ? loin, loin, loin.

Et, depuis, le hareng saur ? sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle ? longue, longue, longue,
Très lentement se balance ? toujours, toujours, toujours.

J’ai composé cette histoire ? simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens ? graves, graves, graves,
Et amuser les enfants ? petits, petits, petits.

Mes animaux familiers

Texte de Chanson écrit pour Bernadette NICOLAS

qui l’a mise à son répertoire

Colette KLEIN

Je n’ai ni chat ni chien.

Je vis au jour le jour,

Même si je sais bien

Qu’ils débordent d’amour.

Mes animaux familiers ne sont des démons.

De la cave au grenier, il en vient de partout 

Qui livrent bataille en plein milieu du salon.

Ils ont pris mon âme et me rendent un peu fou !

J’ai nourri des oiseaux,

Dans une autre existence.

Tout près de mon berceau,

Ils volaient ma pitance.

Mes animaux familiers ne sont des démons.

De la cave au grenier, il en vient de partout

Qui livrent bataille en plein milieu du salon.

Ils ont pris mon âme et me rendent un peu fou !

Je rêvais de serpents

D’iguanes et de pies

De guenons, tendrement,

De tout un paradis !

Mes animaux familiers ne sont des démons

De la cave au grenier il en vient de partout

Qui livrent bataille en plein milieu du salon.

Ils ont pris mon âme et me rendent un peu fou 

Ma tortue, « Fleur d’écaille »

Jouait avec les pierres,

Les griffes en éventail

Se gorgeant de lumière.

Mes animaux familiers ne sont des démons

De la cave au grenier il en vient de partout

Qui livrent bataille en plein milieu du salon.

Ils ont pris mon âme et me rendent un peu fou !

La vie est ainsi faite

Tous mes anciens amis

Sont partis fair’ la fête

Et m’ont laissé ici

Mes animaux familiers ne sont des démons

Bêtes cornues, poilues, singes et araignées.

Lorsque je songe à m’enfuir par vaux et par monts

Ils ricanent … en me faisant des pieds-de-nez !

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