Dieu que ça piaille ici !… Un groupe d’enfants, une dizaine peut-être, entre quatre et six ans jouent dans le parc. Ils s’agrippent, sautillent, crient et piaillent. Oui, ils piaillent, si bien qu’on s’attend à les voir s’envoler et planer au-dessus des arbres avec leurs capes multicolores et leurs casquettes en becs d’oiseaux.
Ils rejoindraient alors cet homme allongé sur un banc, toujours le même. Il sourit aux anges. Se sent pousser des ailes. Ses yeux ont accroché les étoiles et il monte très haut, voit le monde à l’envers. Il siffle comme un merle mais se prend pour un pigeon voyageur, lui qui ne voyage pas plus loin que le banc du parc.
L’entrée du bois ouvre un espace assez sombre, bruissant de mille sons, chants, chuchotements, appels, cris. Le bavardage de la forêt est difficile à comprendre. Qui parle ?… Suis-je interpelée ?… Que dois-je répondre ?… Tiens, c’est un chien qui s’en mêle. Il sort ses crocs, aboie longtemps, décrescendo, et le silence s’installe. Où sont les voix ?…
Sur le sentier, une sportive me croise, au pas de course. Svelte, féline, queue de cheval au vent, pull angora tigré, musculature puissante. Une femme-fauve qui se sauve ? Ce soir, peut-être, Cat-Woman gravira-t-elle la façade de l’Opéra ?
Au bord du lac, pour rire, un pêcheur m’assure que les poissons font pipi dans l’eau. Dans la nature comme dans leur bocal. Exactement comme nous ! Comment donc ? A la piscine c’est interdit ! J’ai lu sur les panneaux lumineux « Défense d’uriner ! ». Vous trouvez cela normal ?
Plus loin, une femme est allongée sur la berge. L’eau lui arrive à la ceinture. Elle semble avoir échoué là, lascive. Elle a surtout échoué à se dépouiller de sa queue d’écailles grises et visqueuses, et à sortir ses jambes de leur étui dont elle cherche désespérément la fermeture éclair. Et voilà qu’en un éclair, elle disparait. Encore une histoire sans queue ni tête…
Sur l’herbe verte, une danseuse s’entraîne, s’échauffe. Avec énergie, elle étire ses membres devant une grenouille qui fait la danseuse, puis, d’un bond, plonge dans le lac. Elle s’ébroue et s’assoie juste au centre d’un nénuphar. Position précise, prévisible. Chorégraphie parfaite ! On applaudit ! Mais… qui applaudit ? Qu’importe, j’applaudis moi aussi.
Et les éléphants du zoo tout proche réagissent à leur tour. Ils barrissent en mesure, à la fois dissonants et inquiétants. Et soudain, est-ce un rêve ?… je distingue Hannibal au regard de feu sur le dos du plus beau, du plus fort d’entre eux. Cette brute d’Hannibal, d’une cruauté inhumaine, plus dangereux, plus menaçant que ses pachydermes, ici, maintenant ! Hannibal, cet animal !… et je crie et je scande « Hannibal cet animal ! ».
Mais trop, c’est trop, je vais rentrer car… l’environnement du parc, pourtant si familier, me trouble et m’égare. L’incertain gagne du terrain. Les forces vitales procèdent à des échanges. Auparavant, la netteté de leurs frontières était rassurante : animal d’un côté, homme de l’autre, et le monde tournait rond ! Oui mais voilà, c’était sans compter la Fantaisie de la nature, la mienne, et celle de la Périchole d’Offenbach qui continue de chanter « Dieu que les hommes sont bêtes !».