Solitude
Tout est noir devant, tout est immobile, tout attend, tout rêve. Le coin de ciel entre arbres et toits cache le silence de la mer, l’écriture douce de l’oiseau, la fragile lumière de l’horizon. L’oiseau seul fait bouger la branche, qui est main d’ombre sur la soie du nuage, répond par le silence au désir de solitude des mots, scande les lointains, habite le proche, l’inconnu de l’arbre. Mot pas encore chant, silence déjà graine, possible du chemin, de la langue, de l’éblouissement qui prend aux racines du noir. Soleil né de rien, fleur de nuit illuminant le ciel de l’arbre qui caresse le toit, soleil doucement pensée, œil ouvert au front, premier dessin du corps qui s’éveille à la lisière, se donne à la présence du chemin, à l’errance sans fin du désir, à tout ce grand dédale noir de l’ici se rêvant dans le distant. Sentir comme vibre l’aile de l’oiseau au passage de l’ombre sur la peau, fermer les yeux avec le monde quand le chant est feu.
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La nuit tombe
Immensité de la lumière, aride falaise de la mer, lointains marcheurs de l’espace, corps rutilants de clarté, couleurs au poinçon de l’ombre. Légères feuilles de vent au souffle du souvenir, tout ici est flambée, vibration blanche des miroirs, présence incandescente, chemins à dessiner dans l’absence, dans la douceur bleue, l’ocre des lointains aux prismes des murs. Chemins comme s’allonge l’imperceptible du reflet, comme rêve la course joyeuse, comme on assagit la mer de sa main posée sur la table de la nuit. Scintillement, non dans la transparence, mais dans un voile de lumière, le perlé d’un éblouissement de la peau, comme si, pour mieux voir, il nous fallait d’abord dessiner l’ombre qui est en elles, si couleurs et formes ne pouvaient naître que de l’ombre, que cernées d’ombre. La couleur nait au fond, un prisme rose de rayons, ancre doucement le ciel dans la mer. La pénombre du soir révèle une géographie du proche, calligrammes noirs dans les reflets, mouettes et varechs entrelacés, colonne du dernier soleil. La nuit tombe au milieu du corps.
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Une même présence
Éblouissement qui prend, là, au partage de la peau. Douceur au fond des yeux de ce haut matin de présence, tout de lumière et de silence, où l’on vient se laisser effacer, paupières closes pour mieux en appréhender le parfum. Pas silencieux sur l’herbe veinée de ciel, tout ici est silence, tout écoute, se cache dans le silence de l’écoute, le pépiement léger des oiseaux, le murmure du feuillage, la mouvante écriture de l’ombre, tout participe d’un même souffle, d’une même présence à la vie. S’abandonner au souffle, à ce va et vient en soi de la lumière faite souffle, entendre l’unique battement d’aile au proche de la pensée de l’arbre, puis écouter le silence, respirer avec le silence, avec ce chant qui emplit le ciel, entendre le silence chanter en nous, sentir comme l’arbre est en soi, comme est silencieux l’oiseau qui se pose, comme il suffit de peu pour éveiller la nuit qui dort en nous. S’ouvrir à ce silence et à cette lumière venus tapisser la profondeur d’un jardin.
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Cela naît du profond Entendre bruisser le peuplier, chanter l’oiseau au creux de la treille, ta voix doucement au fond des murs, caresser le silence du chat qui s’éveille. Entendre le battement d’une aile, le souffle d’une ombre qui passe, la rumeur de torrent du vent dans la profondeur des jardins. Entendre ce que le vent n’entend pas, ce que cache le chant de l’oiseau, ce que ta voix ne dit pas de ta présence, la douceur au fond des mains, les mots pour dire le partage, la lumière tendre d’un visage, le sourire qui toujours s’efface. La douleur de ne savoir dire la douleur avec les mots lumineux de la joie, de ne savoir atteindre l’autre, de ce cri d’enfant en nous qui ne finit pas et que nous portons de toute la force de notre désir de dire. Entendre sous toutes ces voix l’immensité de murmure de la parole, le vent clair bruisser aux lisières, sentir comme la vague en est profonde, comme cela nait de profond en soi, écouter longuement le vent. Entendre la mer, écouter comme on marche, se fond au mouvement de son pas.