Dans son dernier roman la disparition de Jim Sullivan, Tanguy Viel se lance un  défi : écrire un roman américain, et donc selon ses propres dires un roman international, qui comme tous les romans internationaux sont  « traduits dans toutes les langues du monde et  se vendent dans beaucoup de librairies ». Et pour enfoncer le clou, l’auteur précise au tout début de son livre : « Jamais dans un roman international, le personnage principal n’habiterait au pied de la cathédrale de Chartres […] car en France, il faut bien dire, on a cet inconvénient d’avoir des cathédrales dans toutes les villes, avec des rues pavées autour qui détruisent la dimension internationale des lieux et empêchent de s’élever à une vision mondiale de l’humanité. Là-dessus, les Américains ont un avantage troublant sur nous: même quand ils placent l’action dans le Kentucky, au milieu des poulets et des champs de maïs, ils parviennent à faire un roman international ».

Au-delà de l’allusion faite à Christian Oster dont un des livres Dans la cathédrale
situe l’action autour de la cathédrale de Chartres, on reconnaît dès le début du roman l’esprit malicieux  et facétieux de l’auteur  qu’on avait apprécié dans ses ouvrages précédents, notamment dans L’absolue perfection du crime ou plus récemment dans  Paris-Brest.

Tanguy Viel partage avec Jean Echenoz et quelques autres auteurs des Editions de Minuit cette distance critique et cet humour pince-sans-rire d’une grande profondeur qui sont la marque de cette vénérable  maison.

Mais revenons à notre histoire. Qui est ce Jim Sullivan dont on pourrait croire que l’auteur va nous raconter la disparition ?

Eh bien, c’est un musicien folk américain des années 70, mort dans le désert du Nouveau Mexique en 1975, dans des conditions mystérieuses.

De ce personnage, il  sera peu question dans le roman de Tanguy Viel. C’est une sorte d’horizon, un aimant, un point de fuite inatteignable. En fait, Sullivan et le désert du Nouveau Mexique sont devenus la raison du livre.

Derrière Jim Sullivan, il y a le personnage principal  du roman, en chair et en os,  Dwayne Koster, 50 ans, divorcé, passablement alcoolique,  professeur de littérature américaine à l’université de Ann  Arbor (Michigan). L’autre personnage important  du livre est la voiture  de Dwayne Koster : une Dodge Coronet de 1969. Koster passe beaucoup de temps dans sa voiture à espionner sa femme qui a une relation avec un de ses collègues de l’université, de 20 ans son cadet, beaucoup de temps aussi à sillonner les routes en écoutant  la musique de Jim Sullivan ; à  la recherche de sa destinée  qui s’achèvera dans le désert du nouveau Mexique, à l’instar de Jim Sullivan qu’il finira par retrouver.

Une des particularités de ce roman tient au fait qu’il est déjà écrit (dans la tête du narrateur) et  le lecteur est convoqué à assister à la critique  des choix narratifs effectués. Cette mise en abyme de la narration,  pouvait laisser présager un procédé un peu systématique de l’auteur qui, n’arrivant pas à déplier la fiction, aurait trouvé une façon  d’esquiver le défi qu’il s’était lancé : écrire un roman américain. Mais au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture, les commentaires du narrateur se font plus rares,  on glisse progressivement dans l’histoire. Et on y croit !

Nous avons donc au départ  un roman et un traité de théorie littéraire, un enchevêtrement virtuose et malicieux de l’action et du commentaire. Ce qui permet au passage de pointer les poncifs, les ficelles, les codes du roman américain ou pour être plus précis, d’un roman à l’américaine. Cette démarche littéraire fait de Tanguy Viel un grand  écrivain  qui, sous couvert d’écrire un roman américain, perpétue une certaine tradition de la littérature française chère à Voltaire et à Diderot.

C’est peut-être ça aussi la French touch.

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