Cette frontière, tu l’as franchie au premier souffle,
cordon ombilical tranché,
tu en connais l’obscure hantise, tu l’as criée à l’orée, tout près de la perte
tu as été, tout près, si loin,
soudain,
de l’antre primordial.
Chassé, exilé, obligé de la passer
cette frontière pour exister et devenir.
Longtemps, tu as cru à la valeur absolue de la caverne, tu as cru à ce cocon comme au prodige, à l’éden, cercle magique et manne, refuge aurifère, le Tout.
Puis,
la vie, le manque. Frontière.
C’est l’élan, c’est le
Franchissement.
Dans les traces d’ailleurs, d’antan, tu chemines vers.
Arpenter les collines, les bords, les crêtes, les ports…
Fil de l’impossible,
Que cette corde tendue vers l’autre à jamais tienne.
(Un pont de langue et d’amour, de mains qui se joignent, des pas vers les promesses…)
La peur à entendre ce mot : frontière.
Risque, interdit, censure, arrêt. On ne passe pas. C’est le mur. Ce sont les barbelés. Langue muselée, visages fermés.
Sexe impudique, le mur, la muraille, le fer hérissé, le veto de haine.
Ne plus aller, ne plus marcher, ne plus … de l’avant. Frein. Heurt. Frontière.
Files humaines, comme l’envers du mur.
A grimper, à enjamber, à traverser, en contrebande.
Barques, soutes, embarcations de rien, marée humaine affrontant tous les gouffres. Même si rien que la mort.
La vie si vive, indomptable. Et qui bouillonne et veut.
Passer frontière, loin de la guerre, des gravats, de la faim, si rien après tentative, si rien qu’importe,
un au-delà vers ce qui reste de libre dans le sang des jambes, des yeux, des mains traversant les barbelés, les houles, les rejets. Une force si rien d’autre.
C’est derrière soi un monde en friche, en deuil, un
RAVAGE
et devant soi une faim, des soifs, des cimetières marins, de la boue, – espoir , espoir tu veilles, ça saute encore du coffre de Pandore – une frontière à franchir, des langues inconnues, une possibilité d’être, un avenir ?
ces ornières d’exil aux hôtes improbables,
qui aura la chance, qui franchira le gué, qui sera regardé, hébergé, accueilli ?
Et des enfants, des enfants, souffle court, immenses yeux qui n’ont connus que l’horreur et l’atonie, des enfants qu’on emporte comme des sacs, des enfants dans le ressac et dans les décombres, au fond de la mer, des enfants, plus loin que toute frontière, dans l’effondrement, la
BASCULE,
la caverne. Sombre. Sans franchissement. Sans cordon à trancher. Tous des enfants jusqu’aux vieillards.