« Dans les forêts de Sibérie » présenté par Christiane
Le mythe de la cabane ou le choix de la Solitude , fuite ou retrouvailles? Porte de sagesse?
Dans les forêts de Sibérie Sylvain Tesson prix Medicis 2011
“je m’étais promis avant mes 40 ans de vivre en ermite au fond des bois.je me suis installé
dans une cabane sibérienne sur les rives du lac Baïkal…un village à 120 klm , pas de
voisins,pas de route d’accès, parfois une visite.L’hiver, des temperatures de _30°, l’été des
ours sur les berges.Bref, le paradis”
C’est ainsi que le vit et le désire SylvainTesson qui de février à juillet 2010 a décidé de
vivre de cette façon dont il fait le récit dans le livre “Dans les forêts de Sibérie”.
” Tenir un journal féconde l’existence, il en va de la rédaction quotidienne comme d’un
diner avec sa fiancée””
Seul, mais avec livres, cigares et vodka. Une bonne soixantaine de livres qui vont de
la vie de Rancé à Casanova , de Jungêr à Nietsche de Shakespeare à Baudelaire…Son
journal égrène ainsi quelques phrases qui le touchent, par exemple, dans Rancé
de Chateaubriand:”Moins elle avait de but, et plus sa vie prenait sens”ce qui semble
finalement être le message du livre de Ph.Tesson
Quelques mots sur SylvainTesson
“Seul vrai ecrivain voyageur”
Né en 1972,il a fait le tour du monde à bicyclette ,traversé l’hymalaya à pieds du
Bouthan au Tadjikistan, il traverse les steppes d’Asie centrale à cheval..
Grand reporter pour des revues comme Grands Reportages.il est géographe et a fait un
DEA de Geoploitique .Chroniqueur d’une emission littéraire sur D8.
Son dernier livre:“Géographie de l’instant”
Escaladeur à mains nues toured la Eiffel, Notre Dame, chaque année, le 10 mars date
anniversaire du soulèvement tibétain de 1959 il installe le drapeau tibétain sur un
monument pour nous rappeler l’invasion chinoise.
Goncourt de la nouvelle.
Le wanderer,:faire la route sans rien en attendre
“Partir, c’est risquer de revenir de tout”
Grand voyageur, l’arrêt,l’immobilité lui apporte ce que le voyage ne lui apportait plus:
la paix.”…”jusqu’içi les montagnes j’avais apris à les escalader, à les dévaler jamais
encore je ne les avais regardées”
La cabane
La cabane est le royaume de la simplification, de la vie réduite aux gestes vitaux, ouvrant
sur la méditation :”lire, tirer de l’eau, couper le bois, écrire et verser le thé deviennent
des liturgies..Moi qui sautais au cou de chaque seconde pour lui faire rendre gorge et en
extraire le suc, j’apprends la contemplation.”
Dans son journal tenu au jour le jour, il décrit sa vie comme une découverte de la joie,
seulement troublée parfois par d’importunes visites de rudes pécheurs avec lesquels il
s’ennivre de vodka…Ses lectures dont il donne la liste le nourrisssent, Il lit des livres de
dandy, dit-il( “La vie de Casanova” ) mais aussi Saint Augustin tout en menant une vie
de moujik.et si quelques réflexions sur la solitude, l’écologie, la décroissance émaillent
son journal, il ne s’en fait pas le porte parole, pour lui la vie dans les bois n’est pas une
fuite mais “un élan vital dont le luxe “est la beauté”.Conscient de l’élitisme de ce
luxe il ne réclame pas un retour à la nature pour tous et ne fait aucun prosélytisme,.Son
expérience est plutôt hiérophanique en lui faisant toucher le sacré de la vie
Son seul regret: avoir oubllié d’emmener avec lui un livre de peintures pour contempler
des visages, car il n’a que le sien à voir dans le miroir.
Sa télévision est sa fenêtre devant laquelle il passe des heures à contempler les
changements de couleurs du ciel.Une mésange enchante ses journées:”quand je pense à
ce qu’il me fallait déployer d’activité, de rencontres de lectures et de visites pour venir à
bout d’une journée parisienne.Et voilà que je reste gâteux devant l’oiseau.La vie de cabane
est peut-êttre une regression. Et s’il y avait progression dans cette regression?”(p 53)
Le mythe de la cabane
La cabane est la premier ouvrage d’architecture, devenue mythe au 18eme s comme
retour à la nature d’après Rousseau.
Rêve d’enfant, c’est le lieu identitaire en dehors du monde adulte, lieu ou se reconstruire
un monde à soi. Refuge, espace de jeu et de retrouvailles du “Je” ,et au delà du “soi”c’est
aussi le lieu de la transformamtaion spirituelle, comme la grotte ou la hutte(de sudation
chez les Indiens d’Amérique du Nord)
On ne peut s’empêcher de penser à Thoreau et à “Walden dans les bois” paru en 1854,
qui fait le récit de sa vie dans une cabane qu’il a construite dans les bois près du lac
Walden durant 2ans et demie,une façon pour lui de dire non à l’industrialisation et de
faire preuve de résistance…
Si SylvainTesson s’enchante d’une mésange,Thoreau c’est un hibou qui l’enchante:”Je
me réjouis de l’existence des hiboux.Qu’ils poussent la huée idiote et maniacale pour les
hommes.C’est un bruit qui sied admirablement aux marais et aux bois crépusculaires
que nul jour n’embellit,suggérant une nature vaste et peu developpée,non reconnue des
hommes.Ils représentent les pensées tout à fait crépusculaires et insatisfaites propres de
tous…..pendant que je savoure l’amitié des saisons, j’ai conscience que rien ne peut faire de
la vie un fardeau pour moi. La douce pluie qui arrose mes haricots et me retient au logis
aujourd’hui n’est ni morne ni mélancolique, mais bonne pour moi aussi….je n’ai jamais
trouvé de compagnon aussi compagnon que la solitude”
Michel Onfray dans “Le recours aux forêts La tentation de Démocrite” dans un autre
register qu’on appréciera..se veut lyrique dans la forme tout en fustigeant la société:.
“je veux prendre le temps de planter un arbre, au moins de le regarder grandir, de le voir
pousser par ma fenêtre un arbre pour y lire les saisons
<je veux prendre le temps des nuages”etc.
Bref, on retrouve le gout de la simplicité qui correspond à de nombreux mouvements
écologiques, slow food, slow life, le mouvement de la SV (Simplicité Volontaire.).
, la cabane inspire à nouveau les designers et les architectes: dans une visée utilitaire et
de loisir: Philippe Starck vend des maisons en bois à se monter soi-même; un architecte
japonais a concu des maisons en carton pour les sans-abris, havre de paix, espace à soi,
cabanons marseillais, cabanes utilitaires des charbonniers, palombières etc la cabane
demeure l’Idéal d’un Eden, où l’homme est en harmonie avec la Nature;
Sylvain Tesson n’est pas naïf, conscient du danger de la cabane qui remplit une fonction
maternelle et peut “mener à y végéter en état de semi-hibernation.Ce penchant menace
bien des Sibériens qui ne parviennent plus à quitter l’athmosphère de leur cabane.Ils
régressent à l’état d’embryon et remplacent le liquide amniotique par la vodka….Robinson
connait ce danger et décide pour ne pas s’avilir de diner chaque soir à table et en costume,
comme s’il recevait un convive.”
Le rituel est important pour conserver sa dignité et le sens des choses.
Dans cette pseudo solitude surgissent des questions et Sylvain Tesson s’étonne lui-
même:
”Me supporterai-je moi-même?,Puis-je à 37 ans me métamorphoser? Pourquoi rien ne me
manque-t-il?”
La solitude
Qu’est-ce que la solitude et existe-t-elle pour celui qui l’a choisie? “Seul” signifie sans
autre, mais ne dit rien du sentiment de solitude ou plutôt d’esseulement qui peut exister
même avec les autres. Différencier les deux, et le premier sens n’induit pas le second qui
en est indépendant.Seul? Que non,!
Car la solitude permet la rencontre avec soi-même , avec l’essentiel de la vie, et
développe les sensations qui procurent une véritable joie.Il y a des moments de
contemplation et d’activité naturelle et indispensable. Cependant pour Sylvain Tesson
l’espace immense de la Taïga est parfois inquiétant: mélèzes, pins sous la neige.Chaque
jour, Sylvain creuse la glace pour puiser de l’eau, “ce sentiment d’avoir gagné son
eau”il sort en raquette pour marcher, parfois 20 ou 50 klm.Il fait sien la phrase de
l’Hypérion(Holderlin):”ne pas se laisser écraser par l’immense,savoir s’enfermer dans le
plus étroit espace, c’est en cela qu’est le divin”
Un espace étroit au sein d’une imensité glacée.dans laquelle tous les sens s’aiguisent:
“Le non agir chinois du Tao qui aiguise la perception de toute chose.L’ermite absorbe
l’univers, accorde une attention extrême à sa plus petite facette .Assis en tailleur sous
l’amandier, il entend le choc du pétale sur la surface de l’étang.Il voit vibrer le bord de la
plume de la grue en vol.Il sent monter dans l’air l’odeur de fleur heureuse dont s’enveloppe
le soir.”
“Entre l’envie et le regret, il y a un point qui s’appelle le présent, on dispose de tout ce qu’il
faut lorsque l’on organise sa vie autour de l’idée de ne rien posséder”
C’est ainsi que se développent les perceptions, la vue de l’infiniment petit, le rapport au
temps et à l’espace, le retour à l’essentiel de la vie et l’accès au divin
“l’homme libre possède le temps, l’homme qui maîtrise l’espace est simplement puissant”
L’accès au divin
Ce divin, il va le trouver partout, dans le miroitement du soleil sur la neige, dans un
fragment de lichen,:partant pour une virée de 130 klm en 3 jours,”je traverse le chaos de
banquise.La neige a deposée une crème blanche au dessus des tranches bleues.je marche
dans le geteau d’un dieu boréal.Parfois le soleil illumine la pointe d’un glaçon, des étoiles
s’allument en plein jour.Sur les sections obsidionales, les craquelures courent dans la masse
de verre selon un schema recurrent, le dessin d’une arborescence à angles brisés.
;la ligne des cassures se scindent à la manière des arbres généalogiques ou des tiges de
certaines plantes.Cela correspondrait-il à une structure mathématique, à une écriture
determinee par les Lois de l’Univers? “ (Fractales?).; la glace du Baïkal est un mandala
dont le patient dessin sera efface par la chaleur et le vent. La glace est l’une des oeuvres
alchimiques de notre monde”
Et Dieu dans tout ça? Pour Sylvain Tesson: “C’est étrange ce besoin de
transcendence.Pouquoi avoir foi en un dieu extérieur à la création? les craquements de la
glace, la tendresse des mésanges et la puissance des montagnes m’exaltent davantage que
l’idée de l’ordonnateur de ces manifestations” “trop de choses à faire pour avoir le temps
d’inventer un dieu”..
Une sagesse
“ Vivre ne devrait consister qu’en ceci:prononcer sans cesse des actions de grâce pour
remercier le destin du moindre bienfait, être heureux c’est savoir qu’on l’est”…” alors que la
poursuite du Bonheur est une entrave à la sérénité”
L’infiniment petit qui relie le microcosme au macrocosme l’émerveille
“tenir en considération les inscectes procure la joie .Pénétrer dans la géographie de
l’insecte, c’est donner enfin aux herbes la dimension d’un monde.” :”Aimer un papou,
un enfant ou son voisin, rien que de très facile.mais une éponge!un lichen!voilà l’ardu;
éprouver une infinie tendresse pour la fourmi qui restaure sa cité”
Il rejoint ainsi des sages ,Saint François d’Assise ou Bouddha, la Vodka en plus.
C’est ce qui le rend proche, même si je préfère le champagne à la vodka.
Ce retour à la nature, même ponctuel dans l’érimétisme(6 mois pour 2 ans Thoreau!
) et supporté par des moyens techniques (internet, quand ça marche!) est une oeuvre
de pensée dans le renouvellement de perceptions, dans l’attention à l’instant, au vécu
corporel, difficile sous ces latitudes, à la solitude qui donne un pouvoir sur soi, voire sur
les autres.
Sylvain Tesson, nous livre son journal que j’ai lu comme un roman et peut être pris
comme un récit initiatique. Son style est simple, il sait faire preuve d’humour:
p71:””moins on parle et plus on vivra vieux, me dit Youri.Je ne sais pourquoi je pense
soudain à jean François Coppé;Lui dire qu’il est en danger”
Son journal est émaillé de reflexions, d’aphorismes qu’il affectionne;il en a écrit
plusieurs recueils dont “Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages “
« L’amoureux d’aphorismes vit dans l’urgence. Il n’a ni le temps de développer ses idées
ni assez d’espace pour s’épancher. Il préfère précipiter sa penséedans le bain chimique
de la formule »
A propos du thème de l’enfermement et du pouvoir:
“Du domaine des murmures” de Carole Martinez est un roman, reprenant le thème de
l’enfermement volontaire.Dans une écriture ciselée, elle nous fait partager la vie dans un
caveau de pierre de la jeune Exclarmonde qui refuse de se marier et choisit la réclusion
et par là même acquiert un pouvoir sur la sociéte et peut même entrâiner les hommes
aux croisades. Mais ce serait l’objet d’un autre BL sur le thème plus complet du pouvoir
du secret etc…