Il parle du brouillard où vibrent
Les nuances, surgissements éphémères,
Présences tout juste compréhensibles
Dans l’absence résonante de leur
Être.
Il parle du brouillard où les formes
Se préparent lentement à briller
Lors d’une maturation sourde, lente,
Profonde.
Il parle du brouillard sans fin
Qui plonge les idées en léthargie
Et fait des sensations un filigrane
Evanescent où l’on discerne mal
L’héraldique de la pensée altière
Et raffinée.
Il parle du brouillard
Pour parler d’un pays dépossédé
De lui-même et rongé par une attente
Démesurée bien au-delà du temps
Et de l’espace, l’attente infinie
D’un retour splendide et spirituel
A la vraie vie, la vrais paix, la vrais joie,
Le vrai commencement.
Il parle
Du brouillard qui saisit toute émotion
Intranquille dans la folle spirale
De la course vers du sublime.
Il parle
Du brouillard ou bien c’est le brouillard même
Qui parle en lui, telle une voix de la
Nature, une voix de tout le monde,
Une voix de personne, de partout,
De nulle part.
Il parle du brouillard
Pour mieux parler du Portugal et de
Lisbonne, des tribulations de ses
Compatriotes sur les mers, dans le
Monde, dans l’histoire, pour mieux
Parler
Du cœur commun, constant,
Communicable,
Par quoi l’humanité sait se hisser
Au-delà d’elle-même, en prenant pour
Modèle de logique à plusieurs pôles
Les battements, scandés toujours de
Neuf,
En iambes inégaux, de l’appareil
Circulatoire.
Il parle du brouillard
Et l’on entend alors toutes les voix
Des mondes vivants et des mondes
Morts.
Il a de nombreux noms et il n’en a
Aucun, car dans sa voix résonnent
D’autres
Voix, raisonnent d’autres pensées qui
Sont
Des pensées autres, pensées de cet
Autre
Qui raisonne-résonne à l’infini
Dans les mondes vivants et dans les
Mondes
Morts.
Il dit que la mort n’est qu’un tournant
Sur le chemin.
Il déplore l’écart
Qui nous sépare de nous-mêmes, et
Chante –
En convoquant dans son poème
Quelques
Grands maîtres de la langue
Portugaise,
Des langues anglaise et française
Aussi –
La gloire d’être un vide qui s’anime
D’une musique immense bien
Qu’infime.
Il chante en nous chaque fois que
L’esprit
Fait se mouvoir toute la masse inerte,
Chaque fois que la table d’émeraude
Sert de tremplin aux sauts de notre
Danse,
Danse des identités en maraude,
Qui se joue bien de l’engrenage étroit
Où sont broyés prolétaires et rois.