Tu voulais que je découvre la forêt
ta forêt
comme si elle était à toi
« Le mystère de la forêt », disais-tu
Moi, j’avais peur
Peur de m’y perdre
Elle était trop grande, ta Brocéliande
J’aurais préféré qu’on aille à la mer
Les vagues, la plage, le soleil
c’était rassurant
Ta forêt m’inquiétait
je résistais
Un jour j’ai dit oui
Oui, pour traverser ma peur
Oui, pour te faire plaisir
Oui, par curiosité – tu m’en avais tant parlé de ta Brocéliande…
Tu as garé la voiture
« C’est bien là, c’est loin. »
– Loin de quoi ?
– Loin des gens, loin de tout, c’est bien
J’aurais préféré près de tout
J’ai respiré un grand coup
regardé le ciel
comme un plafond au-dessus de nos têtes
On a marché
Ton visage resplendissait
« Tu vois comme on est bien, ici »
J’ai essayé de t’imiter
Des arbres, j’en avais déjà vu
je les aimais bien
fiers, dressés vers le ciel
vers le plafond, peint en bleu
Plus on marchait, plus tu te taisais
plus on marchait, plus tu entrais en toi-même
dans ton monde à toi
le monde de la forêt
Plus on marchait, plus je me sentais enfermée
Trop d’arbres !
Trop d’arbres dans cette forêt
des milliers d’arbres…
Une prison d’arbre
Et ce plafond bleu sale, tout au-dessus
Ces ombres partout
Ces sons, à chaque pas, feuilles, branches, cailloux…
Bruis d’animaux, invisibles
Bruits sous la terre
Bruits au plafond
Bruit de ma respiration
Ton silence
J’ai peur
Je m’arrête
Tu continues
Où est garée la voiture ?
Saurais-je la retrouver ?
Retrouver un monde humain ?
Les sons de la ville, les sons de ma vie…
Non. Je suis perdue. Complètement perdue
Tu te retournes
« Tu viens ? »
– Non. Ramène-moi à la voiture
Tu me regardes, sidéré
« Attends un peu
ça va venir
tu vas sentir… »
Je m’assieds au pied d’un arbre
m’appuie contre lui
ferme les yeux
Etourdissement
Des étoiles sous mes paupières closes
Vertige
L’arbre me soutient
Je m’évanouis
Je ne vois plus rien
Je n’entends plus rien
Je ne sens plus rien
Je ne suis pas dans la forêt, je suis nulle part, je n’existe pas
Soudain : « Réveille-toi ! »
Qui parle ?
Un lutin ? une fée ? un enchanteur ?
Un esprit de la forêt ?
On me touche, on me secoue
Qui suis-je ? où suis-je ?
Au seuil de la conscience
le plus important, c’est ça : où suis-je ?
J’ouvre les yeux
Je sais où je suis
Dans la forêt, immense
Je suis perdue
« Tu sens le mystère de la forêt ?
Les esprits de la forêt
Toute cette puissance…
Tu perçois tout cela ? »
– .. Oui… j’ai senti
– Tu es toute pâle… Tu veux rentrer ?
– Oui, merci
Je m’accroche à ton bras, je te suis
Les arbres me saluent au passage
Je ne sais pas ce qui s’est passé
Je ne m’étais jamais évanouie
c’est bizarre, c’est plaisant, c’est inquiétant
Une petite mort
dont je suis revenue
Peut-être grâce à l’arbre qui m’a soutenue
L’esprit de la forêt…
Tu connais le chemin
tu me soutiens
Je suis fragile
désorientée
Je ne sais pas ce que m’ont fait les esprits de la forêt
J’ai dormi douze heures
envahie de rêves farfelus
de personnages étranges, malicieux, inquiétants et rassurants
Je ne vais plus jamais en forêt, ni dans la tienne ni dans une autre
j’aime les arbres, un par un ; pas trop à la fois
Je ne me perds plus
moi qui me suis si souvent perdue
Comme si la forêt m’avait guérie
m’avait appris à m’orienter, dans la ville, dans ma vie
Aujourd’hui, je te prends par le bras, c’est moi qui te conduis
Je t’emmène au bord de la mer
Une réflexion sur “Le mystère de la forêt (Isabelle Minière)”