Au printemps 1792, on plante des milliers d’arbres à Paris et dans toutes les communes de France. « Les arbres de la liberté », symboles de l’élan nouveau et de l’idéal révolutionnaire, qui allaient s’enraciner, grandir et s’épanouir.
On plante un chêne sur la place de Bédoin, petit village du Vaucluse, au pied du Ventoux.
Dans la nuit du 1er au 2 mai 1794, l’arbre est arraché par des contre-révolutionnaires, royalistes, papistes, fédéralistes.
Usant de représailles, le 28 mai, on tue, à Bédoin, 63 habitants.
Le 1er juin, les villageois sont sommés de quitter leurs maisons; maisons que l’on brûle.
Le 3 juin, on stérilise toutes les terres au sel.
Bédoin, l’infâme, l’incendiée, l’infertile, est anéantie.
Cet arbre, ce chêne de l’avenir, on l’avait planté sur la place publique, un jour de mai, sous le soleil, avec joie, espérance et fraternité. Les principes révolutionnaires s’accordaient encore avec le culte catholique.
On l’avait décoré de fleurs fraîches, feuillages, rubans, cocardes et drapeaux tricolores.
On l’avait coiffé du bonnet rouge de la toute nouvelle République.
Le curé l’avait solennellement béni. Dieu que la cérémonie était belle !
On avait fait la fête, formé des cortèges, rondes et farandoles.
On avait chanté la Marseillaise et le temps des cerises.
On avait dansé la carmagnole et fait exploser des pétards.
On avait bu copieusement et ripaillé toute la nuit.
On avait terminé par une retraite aux flambeaux.
Certains n’étaient pas rentrés chez eux, finissant de cuver sous l’arbre de la liberté.
Deux ans plus tard, le régime de la Terreur s’installe. Le village de Bédoin résiste.
La République légifère; elle ordonne de prendre soin des arbres, « beau et vrai symbole pour la liberté » dira Victor Hugo (1848), « la liberté qui a ses racines dans le coeur du peuple, comme l’arbre dans le coeur de la terre« . Elle exige de les protéger, les entretenir, les replanter.
Elle punit les opposants, ennemis déclarés, qui osent vandaliser, lacérer, empoisonner, mutiler, couper, scier, arracher, déraciner, abattre les arbres de la liberté.
A Bédoin, le tribunal va sévir vite et fort, la loi s’appliquer, la mort frapper 63 fois.
Mais connait-on les coupables, ceux qui ont déraciné l’arbre?
L’Administration du Vaucluse mène l’enquête et déploie de gros moyens. En vain.
Le gouvernement révolutionnaire envoie son représentant à Bédoin, ainsi que le 4ème bataillon de l’Ardèche. Il installe son tribunal, dresse la guillotine, engage trois bourreaux.
On enferme et on enchaîne 130 suspects dans l’église paroissiale.
Personne ne parlera. Personne ne dénoncera les coupables.
Notables, élus, prêtres, artisans, paysans resteront muets, solidaires et opposés.
L’arrêté stipule « que le pays qui a osé renverser le siège auguste de la liberté est un pays ennemi que le fer et la flamme doivent détruire. »
A Bédoin, le fer et la flamme seront mis en oeuvre sans délai.
Sur l’emplacement de l’arbre arraché, 35 personnes seront guillotinées et 28 fusillées.
Les corps seront jetés dans la fosse commune, le village détruit, les terres stérilisées.
Seule, la pierre gravée d’un monument atteste du « crime abominable » commis contre la liberté,
car les arbres ont repris racines et les têtes se sont redressées.
Nicole Goujon, décembre 2016.
Une réflexion sur “L’arbre de la liberté (Nicole Goujon)”